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Durant l’adolescence, les amis et camarades de classe ou de loisirs – les « pairs » de l’enfant – prennent une place de plus en plus importante dans sa vie, ce qui vient déstabiliser l’équilibre des relations qu’il entretient avec ses parents. Ces personnes du même âge lui offrent d’autres points de repère et ont une influence croissante sur ses goûts, l’incitent à développer de nouveaux modes de sociabilités, marqueurs d’une émancipation vis-à-vis des parents ainsi qu’une autonomisation culturelle.
Les produits issus des industries culturelles, composants essentiels des cultures juvéniles, deviennent des signes d’appartenance dont il faut être porteur. Parmi eux, les outils numériques constituent des supports privilégiés de divertissement, de sociabilité, d’informations par lesquels les adolescents se conforment aux attentes du groupe et individualisent leurs pratiques. Pour les jeunes, la chambre devient un espace privilégié pour développer des activités à l’abri du regard des adultes.
Face à ces conduites émancipatrices, les parents s’efforcent d’accompagner les transitions tout en cherchant à garantir la réussite scolaire, l’épanouissement de leurs enfants et l’équilibre familial. Selon la familiarité qu’ils ont avec le numérique, ils sont plus ou moins sensibles ou perméables aux paniques morales autour des « dangers des écrans » circulant dans l’espace public.
Le numérique, outil de connaissance et divertissement
La recherche Idée, opération soutenue par l’État dans le cadre du volet e-FRAN du Programme d’investissement d’avenir, opéré par la Caisse des Dépôts (portant sur un échantillon socialement et géographiquement hétérogène de plus de 800 parents bretons d’élèves de cinquième), indique que 75 % des parents valident l’idée que les messageries, les réseaux sociaux numériques ou les jeux vidéo empêchent leur adolescent de faire des choses plus intéressantes. Environ un tiers considère même qu’ils ont un effet négatif sur son comportement.
En revanche, ils sont plus de 70 % à considérer qu’il est important que leur adolescent puisse avoir accès à Internet quand il fait ses devoirs. Les parents tendent ainsi à opposer un « numérique » légitime comme outil de connaissance à un « numérique » plus abêtissant, voire néfaste, dans ses usages plus spécifiquement juvéniles et souhaitent tous réguler ces pratiques.
Les données de la recherche INEDUC financée par l’Agence nationale de la recherche (ANR) nous ont permis d’identifier les dynamiques familiales autour des pratiques d’écrans des adolescents. Pour les parents, leur régulation est d’autant plus ardue que les ados cherchent à préserver leur espace de liberté et de décompression. Ils sont souvent seuls au domicile au retour de l’école. Les parents s’interrogent alors sur leurs activités, le respect des règles concernant les écrans, les devoirs faits en leur absence. Mais la réponse est peu évidente : faut-il couper la connexion Internet au risque d’entraver l’accès aux devoirs désormais en ligne via les ENT, la collaboration entre pairs et l’accès à des informations en ligne ?
Les parents subissent la pression de leurs ados pour qui l’intégration au groupe des pairs comporte des passages obligés : équipement de plus en plus précoce en smartphone, accès aux jeux vidéo plébiscités et aux réseaux sociaux numériques. Les parents hésitent à les interdire de peur de marginaliser leur ado du groupe de pairs.
Au final, les parents adoptent des stratégies de régulation à partir de leurs objectifs éducatifs, des contraintes auxquelles ils font face, de leurs représentations des pratiques numériques juvéniles et de leur proximité avec la culture numérique.
Gérer les équipements et le temps d’écran
Les stratégies de régulation mises en place par les parents se déploient dans quatre domaines, le premier étant celui de l’équipement. Il existe une différenciation socioculturelle des appareils disponibles au sein du foyer, détenus en propre par les adolescents ou partagés. Dans les milieux populaires, les parents équipent plus tôt leurs enfants en appareils numériques à des fins de loisirs (consoles, tablettes, smartphone). L’équipement familial en ordinateur dépend en revanche souvent de l’entrée au collège de l’aîné, quand il est en général présent dans les milieux favorisés, indépendamment de la scolarité des enfants.
Aussi, la plupart des parents équipent leurs enfants d’un téléphone portable pour des raisons de sécurité, pour qu’ils soient joignables à tout moment ou parce que, de guerre lasse, ils cèdent au fait que « tout le monde en a un ». L’équipement est néanmoins plus souvent discuté et retardé dans les familles favorisées.
La gestion du « temps d’écran », deuxième domaine sur lequel portent les stratégies des parents, cristallise actuellement, dans une perspective protectionniste, une partie des discours publics. Elle est aussi la principale source de conflit et de négociation entre parents et adolescents. Des différences s’observent néanmoins entre les familles : quand certains parents font confiance à leurs ados et contrôlent faiblement le temps qu’ils passent devant les écrans, d’autres le contrôlent fortement et s’aident d’outils de contrôle parental.
Mais pour la plupart des familles, le contrôle reste souple, essentiellement axé sur les heures d’endormissement : les discours parentaux lient questions de santé et exigences du travail scolaire pour imposer leurs limites. Enfin, si l’ensemble des familles expriment des difficultés à gérer les temporalités, certaines adoptent un certain « laisser-faire », particulièrement lorsque les conditions sociales d’existence, par exemple la monoparentalité ou des horaires de travail décalés, compliquent les possibilités de supervision. De façon générale, les temps de pratiques numériques sont plus contraints dans les familles favorisées, les adolescents y étant aussi plus nombreux à multiplier les activités extra-scolaires encadrées.
Une difficulté à contrôler les contenus sur mobiles
La régulation des temporalités s’articule à celle de la localisation des appareils d’autant que les appareils mobiles peuvent être utilisés dans différentes pièces du domicile. Là aussi, il existe des différences entre les familles qui autorisent les usages dans la chambre, celles qui les tolèrent pendant un temps donné et celles qui exigent que les appareils soient utilisés depuis une pièce commune.
Les adolescents de milieux populaires ont un accès plus important aux appareils dans leur chambre : la taille de l’habitat et de la fratrie joue un rôle sur les régulations des espaces d’accès, en particulier lorsque les enfants partagent la même chambre. Dans les familles favorisées, l’accessibilité des appareils depuis un espace partagé permet aux parents de pratiquer une surveillance discrète. Elles sont aussi nombreuses à autoriser les écrans dans les chambres en privilégiant le contrôle du temps à celui du lieu.
Les contenus consommés par les ados (vidéos, séries, jeux vidéo) et ceux qu’ils partagent sur les réseaux sociaux sont également régulés, non sans difficultés. Les contenus autorisés sont plutôt définis par défaut, par les interdictions. Ce constat d’ordre général effectué à partir des données INEDUC est retrouvé dans des recherches plus récentes portant sur les pratiques de lecture sur écran.
Mais quand certains parents interdisaient le visionnage de contenus comme la téléréalité ou des séries jugées violentes sur la télévision familiale, il leur est difficile de contrôler ce que regardent leurs ados sur les supports mobiles. Les interdictions se situent désormais plutôt au niveau de l’accès, ou non, à certains réseaux sociaux (Snapchat, Tik Tok, par exemple) davantage associés par les parents à des dangers potentiels en termes de contenus.
Par ailleurs, alors que le cyberharcèlement et les contenus choquants ou pornographiques inquiètent les parents de tous milieux sociaux, les stratégies de régulation passent aussi par des discours d’accompagnement et des discussions.
Le projet Inégalités éducatives et construction des parcours des 11-15 ans dans leurs espaces de vie – INEDUC est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.