Date de publication
14 octobre 2024
modifié le

La recherche d’adéquation candidat / poste à pourvoir est-elle dépassée ?

De plus en plus d’entreprises rencontrent des difficultés pour recruter des candidats répondant à leurs attentes. Et si elles faisaient fausse route en adoptant une vision dépassée du recrutement ?

Le processus de recrutement classique, tel qu’il est présenté dans les manuels de référence en ressources humaines, prescrit de faire précéder la recherche de candidats (sourcing) et la sélection de ceux-ci par une sérieuse étude du poste à pourvoir. Il s’agit, par-là, de déterminer précisément le profil de compétences qu’il sera nécessaire de rechercher parmi les candidats. L’enjeu serait important étant donné que « la grande majorité des erreurs de recrutement est due à une mauvaise définition du poste », comme l’écrit Jean-Marie Peretti.

Bien entendu, cette démarche frappée au coin du bon sens reste utile. Un candidat disposant de compétences techniques et comportementales (hard skills et soft skills) adaptées au poste partira avec de meilleures chances de réussite dans son travail. Mais la science du recrutement est complexe et subtile, elle s’inscrit dans un contexte temporel comme social particulier et ne s’arrête pas à la signature du contrat de travail. Seront ainsi présentés dans les lignes qui suivent trois arguments incitant à relativiser l’importance de la recherche d’adéquation candidat-poste à pourvoir lors des recrutements.

Pénuries de compétence

Le premier argument repose sur la pénurie actuelle de candidats qualifiés et expérimentés dans de nombreux métiers. Les enquêtes annuelles sur les besoins en main-d’œuvre réalisées par France Travail montrent très clairement une augmentation, ces dernières années, de la proportion de recrutements anticipés comme difficiles par les employeurs interrogés. Un pic historique a été atteint dans l’enquête de 2023 avec 61 % des projets de recrutement. Pour 2024, ce taux a perdu 3,6 points, sans doute en partie influencé par la diminution des intentions de recrutement, mais il reste à un niveau particulièrement haut. Les raisons de ces difficultés, selon les employeurs, sont en premier lieu la pénurie et l’inadéquation des compétences disponibles sur le marché de l’emploi. Ces tensions ne concernent pas que les métiers du numérique ou de la santé, de nombreux métiers manuels et des services sont aussi touchés.

Face à ces nouvelles contraintes, nombre d’employeurs se trouvent dans l’obligation de revoir à la baisse leurs exigences en termes de compétences et donc d’embaucher des candidats au profil moins adapté au poste. Dans un renversement du rapport de force, ces employeurs se voient contraints de pratiquer des recrutements plus ouverts et de s’adapter aux candidats, sauf, comme dans près de 7 % ces cas, à abandonner leur projet de recrutement.

Les nouveaux salariés recrutés dans ce contexte seront sans doute moins rapidement opérationnels et nécessiteront un effort plus important de formation, mais ils ne seront pas pour autant moins performants à terme. D’autant qu’avec la préparation opérationnelle à l’emploi (POE), qui peut être associée à des actions de formation en situation de travail (AFEST), les employeurs disposent d’« outils » pour former leur futur salarié, en amont de l’embauche, aux compétences spécifiquement requises par le poste.

Recruter pour l’organisation autant que pour le poste

Le deuxième argument consiste en un déplacement de la recherche d’adéquation du poste vers l’organisation. Ainsi, pour certains auteurs, le contexte de plus en plus mouvant dans lequel évoluent les entreprises, qui nécessite de s’adapter très rapidement, ainsi que le brouillage des frontières entre les emplois font qu’« il faut dorénavant embaucher pour l’organisation et pas seulement pour un poste spécifique » (Michaud et coll., 2016). C’est sur cette base que s’est développé un champ de recherche traitant de l’appariement entre la personne et l’organisation (person-organisation fit). Les chercheurs ont identifié et testé plusieurs critères pouvant faciliter la recherche d’appariement d’un candidat avec l’organisation : les valeurs, la personnalité, la culture, les objectifs ou encore les intérêts (Barrick & Parks-Leduc, 2019). Il semblerait que ce soit le critère des valeurs qui offre les résultats les plus probants.

Il s’agit donc d’identifier, par des méthodes spécifiques plus ou moins élaborées, quelle est l’échelle personnelle de valeurs des candidats et de la mettre en regard des principales valeurs organisationnelles qui prévalent au sein de l’entreprise qui recrute. Pour les candidats on pourra, par exemple, s’appuyer sur la typologie des 15 valeurs professionnelles identifiées par Donald Super et, pour les organisations, sur les 34 valeurs organisationnelles issues de recherches québécoises. Un candidat qui place « l’ambiance de travail » au premier rang de son échelle de valeurs professionnelles s’intégrera sans doute plus facilement dans une organisation qui priorise « le climat et la satisfaction de ses employés », « les relations interpersonnelles » et « le respect de la personne » plutôt que dans une autre qui donne la priorité à « l’atteinte des objectifs fixés », aux « performances »" ou au « rendement pour les actionnaires ». Une adéquation peut également être recherchée sur des valeurs de sécurité ou de créativité.

La place des valeurs organisationnelles

Malgré les nombreux biais qui peuvent entacher la sincérité et la précision des valeurs présentées par les deux parties, différentes études ont montré que ce type d’adéquation a une influence positive sur la satisfaction des employés, leur implication, leurs performances ainsi que leur fidélité à l’entreprise. Dans le contexte actuel où la quête de sens au travail est largement partagée, les valeurs peuvent servir de support. En effet, parmi les trois piliers du sens au travail qui sont l’utilité sociale, la cohérence éthique et la capacité de développement (Coutrot et Perez, 2022), les valeurs jouent un rôle significatif. Beaucoup d’entreprises l’ont d’ailleurs bien compris et accordent aux valeurs organisationnelles une place prépondérante dans la définition de leur marque employeur en espérant ainsi renforcer leur attractivité.

Vidéo "Quels sont les métiers qui recruteront le plus d’ici à 2030?"

Mais, dans ce domaine, le risque repose dans une définition trop consensuelle de la marque employeur en choisissant les valeurs les plus populaires. En effet, le succès d’une marque employeur repose sur la précision et la cohérence des messages tout comme sur leur capacité à distinguer l’entreprise des autres (Viot et Benraïss-Noailles, 2021).

Stratégique phase d’intégration

Le troisième argument susceptible de relativiser l’importance de la recherche d’adéquation personne-poste à pourvoir repose sur un déplacement vers l’aval du processus de recrutement, c’est-à-dire vers la phase d’intégration du nouveau ou de la nouvelle salarié(e). Les efforts des recruteurs, salariés internes ou intervenants externes, ont trop souvent tendance à se concentrer sur les phases de sourcing, d’évaluation et de sélection des candidats, pourtant on sait déjà depuis longtemps que 50 % de la réussite d’un recrutement se joue dans la phase d’intégration, comme l’ont montré Perrot et Lacaze, 2010. Il est donc peu pertinent d’investir beaucoup de temps, d’argent et d’énergie pour dénicher le candidat idéal, le plus en adéquation avec le poste à pourvoir, si c’est pour ensuite négliger l’étape de son intégration dans l’entreprise. Au mieux le nouveau salarié ne pourra pas déployer toutes ses capacités, au pire il quittera prématurément l’entreprise après avoir fait des dégâts au sein du collectif et un coûteux recrutement sera à relancer.

La phase d’intégration débute dès l’annonce au candidat de sa sélection et elle se termine au plus tôt à la fin de la période d’essai. Les incontournables en sont : le maintien de la communication avec le futur salarié en attendant son arrivée effective, une soigneuse préparation logistique et humaine de son arrivée, un accueil dans des conditions facilitant l’intégration au sein du collectif et un accompagnement fort aussi bien par le manager que par d’autres personnes-ressources (tuteur, pair, mentor…). La pratique du rapport d’étonnement et le scrupuleux respect du « contrat psychologique » passé avec le nouveau salarié en amont de son embauche sont également des leviers importants. Au-delà de ces pratiques classiques, les nombreuses recherches portant sur la socialisation organisationnelle fournissent des pistes supplémentaires pouvant favoriser les apprentissages nécessaires au nouvel arrivant « pour assumer un rôle dans une organisation » selon l’expression de (Sauvezon, 2016).

Citons, à titre d’exemple, la promotion des échanges informels, la richesse et la variété des agents socialisants ou encore une attitude positive de l’entourage face aux stratégies d’intégration des nouvelles recrues (demandes d’information, observations, propositions d’innovation) (Bargues-Bourlier, 2009).

Même si le processus de recrutement va forcément être influencé par le degré de technicité du poste à pourvoir, il s’agira de passer d’une recherche du « candidat idéal » à celle d’une rencontre et d’une intégration réussie d’une personne au sein d’un collectif de travail. Dans ce nouveau contexte sont à privilégier des processus de sélection raccourcis, s’attachant à soigner l’expérience candidats, faisant la part belle aux mises en situation réelles et moins à l’évaluation décontextualisée des compétences. Des compétences à envisager en tant que potentialités, dans une vision dynamique plutôt qu’en tant qu’acquis, dans une vision statique.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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