Date de publication
2 octobre 2024
modifié le

Déclaration de politique générale : « Barnier ne peut pas tailler dans les dépenses et agir pour l’école, la santé ou l’écologie »

Mardi 1er octobre 2024 devant l’Assemblée nationale, Michel Barnier a énoncé ses priorités concernant le déficit, l’immigration, la réforme des retraites, les services publics ou l’écologie. Entretien avec Gilles Richard, professeur émérite des Universités en histoire contemporaine à Rennes 2.

Dans quel contexte politique s'inscrit ce discours de politique générale ?

Ce discours de Michel Barnier est l’aboutissement d’une séquence qui s’ouvre avec un double échec du président de la République. En juin, ce dernier a perdu les élections européennes, puis perdu son pari de la dissolution rejouant l’affrontement entre néolibéraux européistes et nationalistes identitaires. Son échec tient au fait que les gauches, contre toute attente, font l’union autour du Nouveau Front populaire.

À partir de là, en refusant à la gauche de gouverner, Emmanuel Macron se retrouve nécessairement lié à LR et au Rassemblement national. Michel Barnier est la bonne personne pour cette jonction puisqu’au moment de la primaire interne des LR, il avait annoncé un moratoire sur l’immigration et pris des positions proches de celles défendues par le RN.

Comment avez-vous perçu le discours de Michel Barnier devant l’Assemblée ?

Michel Barnier est un vieux routier de la politique qui sait garder son calme même lorsqu’il y a beaucoup de bruit au Parlement – et ce fut le cas ce mardi. L’homme est solide, il sait faire face, négocier. Il a mis son style au service de sa méthode qui est le dialogue. De toute façon, il ne peut pas faire autrement puisqu’il n’a pas de majorité. Mais selon moi, le point plus important dans ce discours, c’est la contradiction entre le constat – effondrement des services publics, dette financière colossale, dette écologique – et les moyens que Michel Barnier propose pour en sortir.

La situation actuelle de la France me fait penser à la situation du Royaume de France en 1788. Le budget était en déficit, la dette colossale. Cette situation s’expliquait à l’époque par le fait que les gens les plus riches, noblesse et clergé, ne payaient pas d’impôts. On est aujourd’hui dans une situation de déficit considérable parce que depuis 2017 – et même depuis Raymond Barre en 1976 – les plus riches ne payent pas ce qu’ils doivent payer. Et à partir de là, les déficits se sont progressivement creusés. Sans réforme fiscale de fond, il ne peut pas y avoir de sortie de cette crise.

Que pensez-vous de la contribution des plus grandes entreprises voulue par Michel Barnier ?

Certains journaux ont parlé de huit milliards de prélèvements, ce qui est très insuffisant. Par ailleurs, cet impôt sera exceptionnel, sur une seule année. Michel Barnier dit que les deux tiers de l’effort pour réduire le déficit budgétaire consistera en de la réduction des dépenses, donc de l’argent affecté aux services publics, à l’école ou à la santé. L’effort demandé aux très grandes entreprises apparaît comme un petit geste de compensation.

Michel Barnier : le résumé de sa déclaration de politique générale (Le Monde, 2024)

Le discours du premier ministre a commencé par un hommage à Philippine, jeune femme assassinée par un étranger sous OQTF. Que signifie ce choix ?

IL est dramatique que cette jeune femme ait été violée et assassinée. Mais de nombreuses autres femmes sont malheureusement violées et assassinées en France par des hommes qui ne sont pas des étrangers ni sous OQTF. Ce crime est donc utilisé politiquement pour dire qu’il faut expulser davantage d’étrangers. C’est un geste en direction du Rassemblement national. On voit bien que sur les questions d’immigration, les objectifs énoncés par Michel Barnier – allongement de la durée de rétention administrative pour les étrangers, rétablissement des frontières nationales, etc. – sont dictés par le RN.

Les déclarations récentes de Bruno Retailleau affirmant au Journal du Dimanche de Vincent Bolloré que « l’état de droit n’est pas intangible ni sacré », rappellent étrangement celles de l’extrême droite. Rappelons que cela dure depuis Pasqua en 1986, avec le rapatriement des Maliens par charter. La droite française a joué cette stratégie avant que le Front national ne soit puissant. Dès 1977, Lionel Stoléru, ministre de l’immigration, expliquait que chômage des Français et immigration étaient liés. Le lit du FN a été creusé par la droite giscardo-chiraquienne.

En vérité, des millions d’emplois ont été détruits pour les classes populaires du fait de la mondialisation néolibérale. Et, pour détourner l’attention de ce problème, on stigmatise les étrangers – ceux-là mêmes dont on avait besoin lorsqu’on n’avait pas assez de main-d’œuvre au temps des trente glorieuses.

Michel Barnier veut aussi rétablir le contrôle aux frontières et contrôler l'immigration…

C’est la suite des concessions faites au RN qui ne cessent de se multiplier depuis des années, notamment avec Gérald Darmanin. Michel Barnier prétend contrôler l’immigration mais rien ne peut stopper les étrangers qui viennent en France ou en Europe : ces gens sont prêts à mourir pour fuir leur pays.

La seule solution valable serait de trouver des moyens pour que les personnes ne partent pas et pour cela il faut arrêter de soutenir les dictatures et avoir une politique de développement à rebours de la mondialisation financiarisée. Dans les années 2000, il y avait moins de Maliens qui venaient en France parce qu’il y avait une politique de soutien aux femmes agricultrices en lien avec les ONG et l’État. Finalement, tout ça a été abandonné par les gouvernements successifs à partir de Nicolas Sarkozy, avant que les djihadistes ne liquident ces associations.

Comment interprétez-vous la réaction de Marine Le Pen au discours de Michel Barnier.

Marine Le Pen, c’est la corde qui tient le pendu. Tout en envoyant des compliments au Premier ministre et à son ministre de l’intérieur, elle a dit qui allait surveiller le gouvernement, lui imposer son point de vue ou le faire tomber.

Michel Barnier a annoncé vouloir dialoguer avec les partenaires sociaux sur les retraites progressives, l’égalité entre les femmes et les hommes, l’emploi des seniors. Pensez qu’il y aura des gestes significatifs ?

S’il s’agit de confier une nouvelle mouture de la réforme des retraites à une négociation entre le Medef et les syndicats de salariés, cela n’aboutira pas puisque le Medef soutient la réforme des retraites. Peut-être y aura-t-il des gestes pour les métiers pénibles, l’égalité homme-femme, mais pour l’instant, aucune précision n’est donnée.

Michel Barnier a clairement défendu l’IVG, le mariage pour tous, la PMA. À qui étaient adressés ces messages ?

Michel Barnier a choisi cette position ferme contre Bruno Retailleau et contre les ministres LR liés à la Manif pour tous. On voit que sa situation est compliquée, pris entre les positions de certains ministres et la force principale de sa majorité constituée par Renaissance et le MoDem qui ont une approche différente de ces questions « sociétales ». Il doit donner des gages aux uns et aux autres.

La séquence à venir semble très fermée, avec un gouvernement extrêmement fragile qui peut chuter à tout moment. Quelle pourrait être l’issue ?

Le gouvernement Barnier est cerné de toutes parts, son sort semble condamné à terme. Vu qu’il est impossible de dissoudre l’Assemblée avant juin 2025, la seule solution à cette situation politique intenable serait que le président de la République démissionne. Mais s’il démissionnait, Marine Le Pen serait bien placée pour l’emporter.


Propos recueillis par David Bornstein

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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