Date de publication
18 août 2025
modifié le

Donald Trump à l’assaut des médias publics aux États-Unis

Pris pour cible par Donald Trump et le camp conservateur, l’audiovisuel public américain fait face à des coupes budgétaires inédites. Derrière la dénonciation d’un prétendu biais gauchiste, c’est l’existence même des réseaux de radio et de télévision publiques qui est menacée, dans un paysage médiatique déjà dominé par les grands conglomérats privés.

Depuis l’accession au pouvoir de Donald Trump, les auditrices et auditeurs des stations de radio affiliées au réseau de la National Public Radio (NPR) reçoivent des e-mails de plus en plus nombreux et de plus en plus pressants de leurs stations favorites leur demandant de les soutenir, notamment financièrement, face aux attaques croissantes de l’administration fédérale.

Les réseaux de radio et de télévision publiques, NPR et PBS, figurent en effet parmi les premières cibles des décisions prises par le président des États-Unis qui, à la suite de la droite conservative, dénonce ce qu’il considère comme un gaspillage d’argent public au service d’une propagande gauchiste. Le Parti républicain multiplie ainsi les décrets présidentiels, les convocations mettant en scène l’intimidation des responsables des réseaux publics par les élus populistes, les propositions de loi et les coupes budgétaires pour affaiblir cet ennemi désigné.

Pour saisir la portée de ces attaques, qui s’inscrivent dans la droite ligne du projet autoritaire mené par Donald Trump et ses soutiens, il est nécessaire de comprendre la spécificité de l’audiovisuel dit « public » aux États-Unis. S’il existe bien des stations de radio et des chaînes de télévision qui reçoivent des fonds publics, elles s’inscrivent dans un modèle très différent des modèles européens, comme France Télévisions, Radio France ou la BBC.

Tout d’abord parce que, contrairement à ces dernières, elles occupent un statut relativement marginal dans un paysage audiovisuel états-unien très largement dominé par les conglomérats privés. Mais surtout parce qu’elles sont loin d’être intégralement financées par l’argent des contribuables et dépendent surtout de fonds privés, qu’il s’agisse de mécénat d’entreprises ou de dons provenant de particuliers ou d’organismes de philanthropie.

Vidéo "Trump attaque les médias publics américains, les qualifiant de propagande • FRANCE 24"

Des médias publics récents et faiblement financés par l’État fédéral

Dès qu’elle devient accessible au plus grand nombre dans les années 1920 et 1930, la radio aux États-Unis se structure autour d’un modèle économique commercial s’appuyant sur la publicité dans lequel ni l’État fédéral ni les États fédérés ne s’impliquent au-delà de la régulation des ondes et l’attribution des fréquences. Ce modèle s’impose ensuite à la télévision.

Ainsi, bien que les radioamateurs et quelques stations financées par des universités publiques ou par des municipalités s’efforcent dans la première moitié du XXe siècle de défendre une autre idée de la radiodiffusion, ancrée dans un idéal démocratique et de bien commun, avec des programmes éducatifs et de création artistique notamment, ce modèle reste marginal et essentiellement local jusqu’à l’adoption du Public Broadcasting Act en 1967 après des années d’activisme de la part de réformistes convaincus qui contribuent ainsi à la Great Society de Lyndon Johnson.

Cette loi crée la Corporation for Public Broadcasting (CPB), une entité de droit privé dont la mission est de redistribuer les fonds alloués par le gouvernement fédéral à des chaînes de télévision et des stations de radio locales qui s’affilient à des réseaux nationaux, dont le Public Broadcasting Service (PBS) pour la télévision et NPR pour les stations de radio. Ce fonctionnement vise à garantir l’indépendance des médias publics vis-à-vis du gouvernement fédéral, qui ne finance ainsi jamais directement la production de programmes.

Par ailleurs, les fonds distribués par la CPB, s’ils constituent une part importante du budget de certaines stations et chaînes, sont complétés par d’autres sources de financement qui proviennent des États, mais aussi et surtout du mécénat et des dons privés. Ainsi, en 2025, pendant que le gouvernement fédéral allouait 535 millions de dollars à la CPB (soit environ 1,50 dollar par habitant, alors que, ces dernières années, la Suisse en dépensait environ 150, le Royaume-Uni environ 75 et la France environ 60), les médias publics recevaient plus d’un milliard de dollars de dons privés.

Au-delà des déclarations de principe, le souci de préserver l’indépendance des chaînes et stations par rapport au pouvoir politique, mais aussi aux intérêts commerciaux, se lit donc dans la structure même des médias publics et de leur financement. Ainsi, PBS ne produit pas directement de programmes et n’est propriétaire d’aucune chaîne de télévision, l’entité sert simplement de point de connexion entre les producteurs et un réseau de chaînes membres qui parfois produisent elles-mêmes des émissions qui peuvent être distribuées à travers le pays via l’entremise de PBS ou d’autres réseaux, comme American Public Television, The Independent Television Service ou la National Educational Telecommunications Association. Ainsi, même l’émission d’information phare du réseau, PBS Newshour, est produite par une chaîne locale, WETA-TV, située à Washington, en collaboration avec des chaînes de New York, San Francisco, Saint-Louis et Chicago.

Du côté de la radio, les fonds alloués par la CPB représentent environ 10 % du budget des stations, mais moins de 1 % du budget annuel de NPR. De fait, la majorité des fonds fédéraux alloués aux médias audiovisuels publics sert en réalité à assurer les moyens techniques d’enregistrement et de diffusion des stations et chaînes locales. Parce que le budget alloué à la CPB n’est pas pérenne et doit être voté tous les ans par le Congrès, les médias publics se sont souvent retrouvés au centre de querelles politiciennes.

L’audiovisuel public au centre des affrontements partisans

La place occupée par l’audiovisuel public dans les débats politiques aux États-Unis est sans commune mesure avec son coût, mais elle peut s’expliquer par l’influence des stations de radio publiques même dans un paysage fragmenté et polarisé. NPR touche en effet 43 millions d’auditeurs et auditrices chaque semaine, et ses programmes témoignent d’un niveau d’exigence journalistique qui en fait une cible de choix pour les adeptes de la désinformation et autres faits alternatifs.

Depuis les années 1970, les médias publics sont critiqués, car ils s’adresseraient de manière prioritaire à un public blanc, éduqué et plutôt aisé financièrement. Ce biais nourrit les critiques venues de deux pôles du spectre politique : pour les conservateurs populistes, les médias publics par nature élitistes ne s’adressent pas au « pauvre petit blanc » ; pour le camp progressiste, les médias publics, dont on peut être en droit d’attendre une représentativité exemplaire en raison de leur statut, ne rendent pas suffisamment compte ni à l’antenne ni dans les coulisses, de la diversité ethnique, raciale et de genre, notamment de la population états-unienne.

Les affinités partisanes sont essentielles dans la perception que les Étatsuniennes et Étatsuniens ont des médias publics. Ainsi, en 2011, alors que 37 % des auditeurs démocrates faisaient confiance à NPR, ils n’étaient que 16 % parmi les auditeurs proches du Parti républicain, ces derniers, et notamment les plus conservateurs parmi eux, préférant écouter des talk-shows qui participent à la radicalisation des débats.

Des attaques conservatrices de plus en plus virulentes

Ce sont les conservateurs qui adressent à l’audiovisuel public les critiques les plus virulentes. Tous les présidents républicains, à l’exception de Gerald Ford, ont essayé de réduire le financement fédéral des médias publics (même si celui-ci ne représente que 0,01 % du budget fédéral). Les attaques s’intensifient à partir des années 1990, en même temps que se renforcent des médias privés partisans (comme les talk-shows radiophoniques conservateurs et Fox News) et que différentes branches du conservatisme s’allient pour dénoncer les médias audiovisuels publics pour des raisons à la fois sociales (les médias publics auraient un « biais libéral ») et fiscales (l’État devrait limiter ses dépenses au strict nécessaire). Ces attaques n’épargnent même pas la très populaire émission pour enfants Sesame Street.

Donald Trump avait déjà appelé à couper les financements de la CPB en 2017 et les attaques, qu’elles viennent du pouvoir exécutif ou de la sphère conservatrice plus largement, se sont accentuées avec son retour à la Maison-Blanche : en février, Elon Musk, encore à la tête du DOGE, a publié sur le réseau social dont il est propriétaire un message appelant à ne plus financer NPR (« Defund NPR. It should survive on its own. ») ; le sénateur républicain de la Louisiane, John Kennedy, a déposé début mars un projet de loi intitulé le « No Propaganda Act », qu’il défend en affirmant que l’audiovisuel public n’offre pas une programmation indépendante et qu’il n’y a plus besoin des médias publics aujourd’hui, car l’offre serait suffisamment diversifiée (90 % des médias aux États-Unis appartiennent à 6 grands conglomérats) ; le 1er mai 2025, Donald Trump a signé un décret présidentiel ordonnant à la CPB de ne plus financer PBS et NPR, au prétexte que le traitement de l’actualité y serait biaisé et, le Congrès a accepté le 16 juillet une demande de la Maison-Blanche de révoquer 1,1 milliard de dollars précédemment alloués à la CPB pour les deux prochaines années. Cette décision menace l’existence de plusieurs dizaines de stations de radio et de chaînes de télévision locales.

Vidéo "Trump contre les médias | Décryptage | ARTE"

Une menace pour la démocratie

Au-delà des cas de NPR et PBS qui ont été érigés en symboles à abattre par les conservateurs, ces attaques constituent des menaces sérieuses pour la démocratie états-unienne. En effet, une étude de 2021 menée par Timothy Neff et Victor Pickard suggère qu’un financement élevé et stable des médias publics est un signe de bonne santé pour une démocratie. Lors de la signature du Public Broadcasting Act, le président Lyndon B. Johnson insistait sur l’importance de l’enrichissement intellectuel des citoyennes et citoyens états-uniens et définissait l’information et la connaissance comme des biens publics. Les attaques de l’administration Trump contre les médias publics s’inscrivent contre cette logique et participent d’un mouvement plus large de délégitimation des faits qui se manifeste aussi dans les menaces contre la liberté de la presse de manière générale et contre la science.

Non seulement les médias publics peuvent contribuer à la liberté et à l’indépendance de la presse, mais, dans le contexte états-unien, ils comblent aussi un vide dans un paysage audiovisuel où la concentration économique et la polarisation politique font loi. Les stations et chaînes locales aux États-Unis donnent accès à l’information à des communautés trop isolées pour être rentables pour le système commercial ; elles produisent et diffusent des programmes éducatifs ; elles permettent d’entendre des voix minorisées souvent absentes des médias commerciaux et elles permettent d’assurer la communication dans des situations d’urgence (comme lors des inondations en Caroline du Nord en 2024, des incendies en Californie de janvier 2025 ou d’un tremblement de terre en Alaska). Les médias publics relient les citoyennes et citoyens avec les communautés locale et nationale, ils jouent donc un rôle essentiel dans le renforcement de liens démocratiques aujourd’hui malmenés.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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