Date de publication
13 mai 2025
modifié le

Pourquoi tant de difficultés à recruter des enseignants ?

Les concours pour devenir enseignant peinent à attirer les candidats et les académies multiplient les recrutements de personnels non fonctionnaires, ou contractuels, pour pallier les manques. Si ce type de pénurie n’est pas inédit, la crise actuelle questionne la valeur sociale du métier.

Depuis une quinzaine d’années, la France fait face à une crise persistante de recrutement des enseignants, en primaire comme dans le secondaire. Certes, le système éducatif français a déjà connu par le passé des crises de grande ampleur. Mais les causes en étaient différentes, et elles ne présentaient pas les spécificités de la crise qui affecte l’école aujourd’hui.

On peut rappeler à cet égard les épisodes liés à la massification de l’enseignement secondaire dans les années 1960, à la création des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et à l’élévation du recrutement des professeurs des écoles de bac à bac+3 au début des années 1990 et, plus récemment, à la mastérisation de la formation des enseignants. Cette dernière réforme a été mise en œuvre alors que 60 000 postes d’enseignants étaient recréés dans les années 2010, nécessitant un afflux de candidats pour combler tous les besoins.

Dans ce contexte, un décalage a été rapidement observé entre les effectifs de candidats et le nombre très élevé de postes à pourvoir, et il n’a jamais été résorbé. Il s’est même aggravé de sorte que les pouvoirs publics ont régulièrement recours dans l’urgence des rentrées scolaires à un nombre croissant de contractuels (dont le nombre a progressé de 26 % entre 2015 et 2020), en particulier dans les académies déficitaires (Créteil et Versailles en tête) ou dans les disciplines les moins dotées en candidats (lettres, mathématiques, allemand). On assisterait, par conséquent, à un changement de nature de la crise et à l’emboîtement d’une problématique de recrutement dans une problématique d’attractivité.

Aux difficultés à pourvoir tous les postes s’ajoute une perte de valeur des métiers de l’enseignement et, plus globalement, de la fonction publique, affectés dans leur image, leur statut et leur reconnaissance. Il ne s’agit donc plus seulement d’une crise passagère liée à l’inadéquation entre le nombre de postes et le nombre de candidats, mais d’une crise structurelle, durable, qui touche les fondements de l’identité et du métier des enseignants.

Une perte d’attractivité territorialisée

La désaffection pour les concours externes de l’enseignement s’est intensifiée puisque, par exemple, 2,2 candidats se sont présentés pour un poste de professeur des écoles en 2023 contre 5,3 en 2010 et 2,1 candidats sont dénombrés pour un poste au Capes en 2023 contre 4,4 en 2010.

Pour autant, la perte d’attractivité n’a pas de caractère homogène et de fortes disparités sont constatées, selon les académies pour le premier degré et selon les disciplines dans le second degré. Ainsi, les académies de Créteil et Versailles ont moins d’un candidat (environ 0,7) par poste de professeur des écoles en 2023 alors que l’académie de Rennes comptait 6,6 candidats présents et encore 4 pour l’académie de Nantes.

Dans l’enseignement secondaire, les ratios observés en 2023 sont inférieurs à un candidat par poste dans plusieurs disciplines du Capes externe (allemand, lettres classiques), se situent entre 1 et 2 en lettres modernes (1,4), mathématiques (1,4) ou anglais (1,9) quand d’autres disciplines maintiennent des niveaux relativement élevés comme la philosophie (7,4) et, dans une moindre mesure, les sciences de la vie et de la terre (3,6) ou l’histoire-géographie (3). Ajoutons que le concours de l’agrégation continue d’attirer en dépit, là aussi, d’une tendance à la baisse (10,5 candidats présents pour un poste en 2006, 7,6 en 2010 et 5,2 en 2023).

Tous les postes ne sont donc pas pourvus (le taux de couverture s’élève à 80 % en moyenne) alors même que les taux de réussite augmentent et que les seuils d’admissibilité sont revus à la baisse, ce dont témoignent certains constats critiques des rapports de jurys. Ces éléments permettent de montrer que la crise d’attractivité est à la fois territorialisée et différenciée selon les concours, affectant inégalement les écoles et établissements. En ce sens, elle n’est pas sans effet sur la qualité et l’équité du service public d’éducation.

Une pénurie européenne d’enseignants

La France est loin d’être un cas isolé face aux pénuries enseignantes. Un rapport de l’Union européenne de 2021 (Eurydice) indiquait que seuls cinq systèmes éducatifs européens n’étaient pas concernés par des besoins de recrutement (Malte, la Slovénie, la Slovaquie, la Finlande et la Bosnie-Herzégovine).

Le dernier rapport de l’OCDE « Education at a glance » (2024) pointe aussi une pénurie généralisée d’enseignants qualifiés. Car les difficultés à recruter des enseignants posent à la fois des problèmes de gestion des flux de personnels, mais aussi de qualité au sens où il manque souvent des enseignants suffisamment formés, qualifiés ou certifiés, les critères d’admission variant d’un système éducatif à l’autre (niveau d’études, types de concours ou de sélection, certification à obtenir…).

Dans plusieurs pays, des modalités d’accès alternatives se développent, contournant les voies habituelles qui mènent aux métiers de l’enseignement. Dans la plupart des pays, il faut un diplôme au moins équivalent à la licence pour devenir enseignant – dans les pays de l’OCDE, 50 % des enseignants déclarent une licence comme diplôme le plus élevé, 44 % un master.

Cependant, des formations courtes émergent, souvent assez localisées et circonscrites à des bassins de recrutement où les besoins en la matière sont saillants. Désignées sous l’expression de « fast tracks », ces voies d’accès visent à satisfaire rapidement les besoins, mais elles peuvent être insatisfaisantes pour les enseignants qui se sentent vite démunis en termes de préparation au métier. Plus généralement, elles interrogent quant à la pérennité et à la qualité du service d’éducation rendu.

Vidéo - « Attractivité du métier d’enseignant : quels professeurs demain ? » (Printemps de l’économie, mars 2025).

L’ensemble de ces dynamiques questionne la valeur sociale des métiers de l’enseignement dans les sociétés contemporaines. Mais comment évaluer celle-ci ? Les salaires sont des indicateurs chiffrés, directement comparables et mesurables, qui donnent une idée de la valeur sociale attribuée à une profession, même s’ils ne peuvent suffire à mesurer le statut social. Le statut social recouvre aussi d’autres dimensions, comme le niveau d’études, le statut d’emploi ou les modes de vie.

Sur les salaires, les rapports se succèdent et se ressemblent, qu’ils soient établis au niveau national ou international. Les enseignants français commencent et terminent leur carrière avec un salaire inférieur à la moyenne de l’UE.

Un enseignant en début de carrière en France gagne environ 26 000 euros en primaire, 28 000 euros dans le secondaire, quand un enseignant dans la même situation en Allemagne perçoit 51 000 euros en primaire et jusqu’à 59 000 euros dans le secondaire. Et pourtant les enseignants de collège en France sont parmi ceux qui effectuent le plus d’heures d’enseignement en Europe (plus de 700 heures par an, contre environ 640 en Allemagne) selon les données internationales.

Des causes multiples

Il faut aussi souligner que les salaires élevés ne suffisent pas à régler les problèmes de pénurie : l’Allemagne aussi manque de candidats pour les métiers de l’enseignement. Si bien payer les enseignants est un prérequis absolument indispensable pour attirer plus de candidats, d’autres facteurs, liés aux conditions de travail, sont en plus à considérer.

En effet, la crise d’attractivité du métier d’enseignant repose sur des causes multiples, qui se combinent. Si le salaire occupe une place centrale, c’est aussi symboliquement en raison de la valeur qu’il est censé accorder au métier. D’ailleurs, les enquêtes sur la reconnaissance des enseignants en France confirment que ces derniers se sentent peu considérés comparativement à leurs homologues en Europe, mais aussi par la société et l’institution.

Ce déficit de reconnaissance, couplé à une perte de prestige de la fonction, nourrit une crise de légitimité de la profession, plus sensible dans le second degré. La figure de l’enseignant respecté pour ses savoirs et ce qu’il représente historiquement dans l’école de la République est ébranlée, jusque dans son autorité qui se voit davantage contestée face aux élèves et parents. La « légitimité d’institution » (selon l’expression de Pierre Bourdieu) dont l’enseignant était le dépositaire recule, en même temps que l’école peine à améliorer ses performances ou à atténuer les inégalités. Les enseignants sont donc perçus malgré eux au travers des critiques visant l’institution scolaire, à la différence d’autres pays où les réussites du système rejaillissent sur le corps enseignant (comme en Finlande par exemple).

Vidéo - « Pénurie de profs en France : plus de 4 000 postes n’ont pas été pourvus » (France 24, 2022).

Dans ce contexte, la formation des enseignants est parfois perçue comme une manière d’améliorer leur statut social, en plus de viser une meilleure performance globale du système éducatif. Les réformes de la formation des enseignants se sont succédé très rapidement depuis une dizaine d’années. Une réforme est en cours, qui s’appliquera en 2026, la précédente datait de 2022, on peut remonter dans le temps et constater la fréquence des réformes : 2019, 2013, 2010, 2008, 2005, 1989.

Certaines ont porté sur le temps d’études nécessaire pour devenir enseignant (par exemple, détenir un master), d’autres ont porté sur le moment auquel le concours peut être passé (à bac+3 ou à bac+5), d’autres encore sur les structures de formation et leurs contenus (IUFM, écoles supérieures du professorat et de l’éducation [ESPE], Institut national supérieur du professorat et de l’éducation [INSPE]). Soulignons que les réformes les plus récentes n’ont pas eu le temps d’être évaluées ni de faire l’objet de travaux de recherche, ce qui empêche d’en apprécier la portée.

Ce que l’on sait cependant, c’est que ces réformes successives rendent les conditions requises pour devenir enseignant imprécises, incertaines, voire tout à fait méconnues, ce qui a un effet dissuasif sur les candidatures des étudiants, mais aussi sur celles des personnes en reconversion. Ces réformes peuvent aussi faire du projet de devenir enseignant un pari risqué, que les étudiants, en particulier ceux qui sont issus de milieux sociaux modestes, hésiteront à faire.

La crise de recrutement s’est élargie à une crise d’attractivité des métiers de l’enseignement alors même que les besoins demeurent importants et que la sélection et la formation des professionnels représentent un levier déterminant pour améliorer l’efficacité et l’équité des systèmes éducatifs. Ainsi, l’enjeu du recrutement des enseignants apparaît indissociable d’une autre priorité politique, celle qui vise à réduire les inégalités scolaires, de plus en plus saillantes selon les territoires.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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