Date de publication
3 novembre 2025
modifié le

Jean-Yves Mérian, professeur émérite, élu à l’Académie brésilienne des lettres

Professeur de littérature et civilisation brésiliennes durant 30 ans à Rennes 2, Jean-Yves Mérian nous raconte sa passion pour l’Amérique du Sud et son rôle de correspondant étranger pour la prestigieuse ABL, équivalent brésilien de l’Académie française.  

Portrait de Jean-Yves Mérian

Pour commencer, racontez-nous comment vous est venue cette passion pour l’Amérique du Sud et sa culture.

Je suis né au bord de l’Atlantique, sur la côte sud du Morbihan. Enfant, dans mon petit village, il y avait de vieux marins qui nous racontaient leurs aventures. À la fin du XIXe siècle, ces deux frères avaient franchi le cap Horn à la voile. Ces récits de Buenos Aires, de la Terre de Feu ou de Valparaíso ont éveillé mon imagination. Je me suis dit : “Un jour, j’irai moi aussi en Amérique du Sud.” J’avais à peine dix ans.

Plus tard, en 1970, à une période où il y avait encore des utopies et des gens convaincus qu’on pouvait changer le monde, je suis allé en Bolivie pour diriger l’Alliance française de Santa Cruz de la Sierra pendant deux ans. Au cours de mon séjour en Bolivie, j’ai aussi voyagé au Brésil pour y faire des recherches en vue ma thèse de doctorat d’État. Ce fut une période importante : non seulement j’avais des responsabilités en Bolivie, mais je m’intéressais beaucoup à la vie publique et politique locale dans laquelle je me suis engagé. J’ai notamment bien connu Jaime Paz Zamora, qui est devenu président de la République bolivienne — son fils vient d’ailleurs d’être élu au même poste.

Dès le départ, j’ai eu une relation très forte avec les pays andins et le Brésil, que j’ai choisi comme pôle principal de mes activités, et cela n’a jamais cessé. L’Amérique latine, c’est une immense diversité culturelle, héritée des premières civilisations largement détruites par les conquérants espagnols et portugais. Cette diversité se retrouve dans tous les domaines, pas seulement la littérature. J’ai toujours essayé de partager cette passion à travers mes écrits et publications.

Vous étiez étudiant à Rennes avant même la constitution de ​​Rennes 2. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ? 

J’ai commencé mes études place Hoche, là où se trouve aujourd’hui la faculté de sciences économiques. En mai 68, nous avons connu la création de l’Université Rennes 2. À l’époque, nous ne voulions pas détruire l’université, mais la transformer. J’étais assez impliqué, en tant que représentant des étudiants, avec notamment Jean-Yves Le Drian, devenu un ami, et bien d’autres.

Au cours des années 1970, Rennes 2 était déjà un lieu très vivant : les mouvements n’étaient pas violents, mais intellectuellement bouillonnants. Il y avait des enseignants remarquables, certains devenus professeurs au Collège de France, et un véritable respect réciproque. Nous avions des collègues de la qualité de Mario Soares, Milan Kundera, Dominique Fernandez… C’était très stimulant sur le plan intellectuel et culturel et aussi bien enseignants qu’étudiants, nous étions tous acteurs et jouions un vrai rôle. Lors des coups d’État en Amérique latine, nous avons ainsi accueilli à Rennes 2 des réfugiés chiliens et organisé des événements de soutien aux luttes contre les dictatures en Bolivie, au Brésil et en Argentine sans oublier celles du Portugal et de l’Espagne.

Si au départ, mes études à Rennes 2 portaient principalement sur l’Espagne, je m’intéressais déjà à l’Amérique du Sud, et il me semblait impensable de ne pas connaître le portugais — langue de 40 % de la population du continent. À l’époque, les conditions d’études étaient très difficiles : pas d’aides, pas de bourses de recherches, pas d’Erasmus. J’ai décidé de faire ma thèse sur la littérature brésilienne mais je n’avais pas de financement. Pour voyager, je travaillais avec l’association Nouvelles Frontières, qui voulait démocratiser le voyage. J’étais responsable du secteur Amérique latine, je formais des accompagnateurs et créais des circuits — ce qui me permettait de voyager et de pouvoir faire mes recherches au Brésil. C’était une époque rude, mais passionnante.

La ville de Rennes et l’Université Rennes 2 entretiennent une relation particulière avec la langue portugaise, dont vous avez été un acteur-clé. Pouvez-vous nous rappeler les jalons de cette histoire ?

Au début des années 1970, l’enseignement du portugais était quasi inexistant en France. Dès 1922, Rennes a été en ce domaine la deuxième ville du pays, après la Sorbonne. Tout est parti d’un ancien combattant républicain portugais tombé amoureux d’une Bretonne et venu enseigner ici. Le véritable développement date des années 1960, à l'initiative de Georges Boisvert, suivi par Jean-Michel Massa, également professeur de lettres et civilisations portugaises et brésiliennes. J’ai rejoint son équipe dès mon retour de Bolivie en 1971-72. Alors que j’étais encore en Bolivie, Rennes 2 avait recruté Mario Soares, alors réfugié politique et futur président du Portugal, avec qui j’ai eu le plaisir de travailler jusqu’à son retour au Portugal suite à la révolution des Œillets en 1974. 

Nous avons aussi cofondé l’ADEPBA (Association pour le développement des études portugaises, brésiliennes, d’Afrique et d’Asie lusophones), et participé à la création du Capes et de l’agrégation de portugais. C’était un vrai travail de conviction : nous devions démontrer l’importance de la diversification linguistique, à une époque où l’immigration portugaise était forte — en 1975, la communauté portugaise installée en France atteignait 750 000 personnes. Notre objectif : qu’il y ait, dans chaque académie, des établissements où l’on enseigne le portugais. Rennes 2 a joué un rôle majeur dans cette promotion et a aussi été pionnière dans le développement des études consacrées aux écrivains africains de langue portugaise.

Par ailleurs, il y a toujours eu un lien fort entre Rennes et le Brésil : le géographe breton Francis Ruellan, par exemple, a fondé les études de géographie moderne à Rio de Janeiro, alors capitale fédérale, avant de revenir enseigner à Rennes. Son fils a d’ailleurs légué sa bibliothèque brésilienne à Rennes, aujourd’hui conservée à la BU (Fonds F. Ruellan).

Vous avez été élu en mai dernier à l’Académie brésilienne des lettres. Comment avez-vous vécu cette prestigieuse nomination ?

L’Académie a été fondée à la fin du XIXe siècle sur le modèle français. Elle compte 40 membres, et 20 membres correspondants étrangers. J’ai été élu au siège précédemment occupé par Mario Vargas Llosa, grand écrivain péruvien récemment décédé. C’est un immense honneur et un grand plaisir, d’autant que j’ai été élu à l’unanimité. C’est une reconnaissance du travail mené toutes ces années. En quelque sorte, l’aboutissement d’une longue aventure commencée avant même la Révolution des Œillets au Portugal ou la chute du régime militaire au Brésil.

Quels devoirs et missions vous attendent en tant que correspondant étranger de l’Académie brésilienne des lettres ?

Il n’y aura pas de rupture avec ce que je fais déjà : promouvoir les écrivains brésiliens et leurs œuvres, en France comme au Portugal, où je vis une grande partie de l’année. J’ai déjà eu cette expérience, notamment comme conseiller culturel à Buenos Aires ou à São Paulo, et également au ministère de la Culture avec Jack Lang. À Rennes 2, le département de portugais a eu l’honneur de recevoir de nombreux écrivains et hommes de lettres brésiliens parmi lesquels Antonio Torres, Antonio Carlos Secchin, Godofredo de Oliveira Neto … Je continuerai dans cette voie : aider à faire connaître la littérature brésilienne, et soutenir la traduction de leurs œuvres. Comme, par exemple, celle d’Ana Maria Gonçalves, académicienne, autrice afro-brésilienne remarquable, dont l’œuvre gagnerait à être traduite en français.

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