Date de publication
23 septembre 2022
modifié le

Delphine Battour présente Fracassé·e·s, le cri poignant d’une génération en quête de sens

Fracassé·e·s est l’adaptation par Delphine Battour de la première pièce écrite par Kae Tempest, figure emblématique du slam et de la poésie britannique.

Delphine Battour

Ancienne étudiante en arts du spectacle à l’Université Rennes 2, ancienne présidente de l’association l’Arène Théâtre et fondatrice de la Zamak Compagnie, Delphine Battour dresse le portrait de jeunes adultes à la dérive, telles les figures désemparées qui traversent et hantent les écrits de Kae Tempest.
 

Il y a là Danny, Charlotte et Ted, issu·es des quartiers populaires, qui arrivent au tiers de leur vie avec cette question obsédante, que le mirage des fêtes et des drogues n’apaise pas : comment continuer d’avancer, et surtout, à quoi bon ? Entre lutte et renoncement, l’équilibre est fragile et la dérive facile.

Quel regard portez-vous sur le travail de l’artiste britannique ?

Delphine Battour. Je suis admirative de son parcours et de son travail d’écriture. Je me sens très connectée à l’artiste artistiquement mais également d’un point de vue plus personnel.

J’ai découvert le travail de Kae Tempest par une amie qui venait de lire son roman « Écoute la ville tomber » et qui m’avait fortement invitée à découvrir son travail au vu de la porosité entre nos deux univers. J’ai par la suite été happée par la force scénique de Kae en concert. Sa présence est absolument envoûtante, apaisante et fortifiante. J’ai tout de suite voulu approfondir la rencontre en plongeant pleinement dans ses œuvres.

3 personnes sur un parking
Légende

Fracassé·e·s © Mathilda Gustau 

Qu’avez-vous ressenti lors de votre première lecture de Wasted, son premier texte dramaturgique écrit en 2011 ?

D. B. Je me souviens avoir acheté son texte un matin où il faisait beau, je me suis assise sur les marches du Parlement à Rennes et je l’ai lu d’une traite. J’ai tout de suite été bouleversée par cette histoire d’amitié/d’amour. Je me suis directement identifiée au récit, j’y ai également vu mes ami·e·s représenté·e·s et le désir de mettre en scène la pièce a surgit immédiatement : l’envie de voir des corps sur ces mots. Une seule chose m’a gênée, c’était la relation d’amitié si forte entre Ted et Dan (les deux personnages masculins) laissant sur le côté Charlotte comme étant seulement « la meuf de ». J’avais également envie de faire apparaître un couple lesbien dans ma nouvelle création.

Alors je me suis simplement dit qu’il fallait féminiser le personnage de Dan et que le travail de mise en scène et d’interprétation pourrait redonner de la force à Charlotte.

Je pense que la puissance de cette pièce se situe dans la justesse de l’écriture de Kae. Ses personnages sont entiers, francs. Leur langage est sans fioritures, leurs problématiques rencontrées sont contemporaines et résonnent à tout âge.

3 personnes assises sur un banc dans la nuit
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Fracassé·e·s © Mathilda Gustau 

Déjà, lors de vos débuts en tant que metteure en scène à l’université, vous dressiez « un compte-rendu de la jeunesse par la jeunesse » dans votre première création 20*. Votre génération, sa fébrilité, semble être un fil conducteur dans votre travail… 

D. B. En effet, c’était en 2013 à Rennes 2 avec l’Arène Théâtre. « 20 » traitait des questionnements et craintes vis-à-vis de l’avenir de personnes ayant la vingtaine. À l’origine, les écrits avaient été collectés pour un projet d’édition d'Aude Fourest, une amie illustratrice qui était à cette période étudiante à l’école des Beaux-Arts de Rennes. Ayant moi-même participé aux écrits et ayant lu l’édition finale, j’ai tout de suite eu envie de retravailler les textes et de réunir une équipe pour partager à la scène ce flux de questionnements.

Je crois que mon travail est emprunt d’un fort besoin d’identification aux personnages présents sur scène et donc à des problématiques qui nous traversent toutes et tous au quotidien. Je me rends compte également du lien très étroit que je construis avec le cinéma au plateau, tant dans l’approche du jeu avec les interprètes, que dans la construction des récits. Étant très avide de films, ma culture s’est bâtie avant tout avec le 7ème art, bien plus qu’avec le théâtre. Discipline que j’ai réellement découverte et approfondi lors de mon arrivée en tant qu’étudiante en Arts du spectacle à Rennes 2.

Fracassé·e·s
Légende

Fracassé·e·s © Mathilda Gustau 

Comment avez-vous fait vôtre le texte Fracassés de Kae Tempest ? Quels ont été les principaux défis à relever lors du travail d’adaptation ? 

D. B. Fracassé·e·s a été véritablement un petit challenge à relever. Tout d’abord, il m’a fallu un an pour avoir la réponse de Kae concernant la demande de changement de genre pour le personnage de Dan. Son autorisation nous a été annoncée à la même période où Kae a annoncé publiquement sa transition en temps que personne non-binaire. Je décrypte cela comme une connexion supplémentaire entre Kae et notre travail.  

La pièce est construite en alternance entre scènes dialoguées et scènes de chœur. J’ai fait le choix de garder les scènes de chœur en langue originale pour retrouver la musicalité de l’écriture de Kae. Nous avons axé le travail musical vers une exploration du spoken word** avec les interprètes.  

J’avais également envie de travailler avec un compositeur afin de créer l’univers musical du spectacle. Je me suis rapprochée de Raphaël Mars avec qui nous avons tout d’abord discuté des influences que j’avais. Je lui ai donc fait part des artistes que j’avais écouté en travaillant pendant mes recherches dramaturgiques : Chloé Thévenin, Rone, French 79. Raphaël nous a par la suite accompagné lors de nos premières résidences pour composer in situ les septs titres.

Au vu de mon appétence pour le cinéma, je me suis rapprochée de Clémence Lesné qui est vidéaste afin d’adapter l’ouverture et la fermeture de la pièce en court objet cinématographique. Pour cela, le dialogue entre la musique de Raphaël Mars et le montage de Clémence ont été importants afin de traduire l’ambiance pesante/étouffante que l’on retrouve dans les didascalies de Kae et les images que nous avions en tête avec Mathilda Gustau, ma collaboratrice.

Les chœurs étant en langue anglaise, la question du surtitrage s’est rapidement posée avec Julie Pareau qui est notre régisseuse vidéo, et ce, tout au long de la création : doit-on surtitrer tous les chœurs, seulement de manière partielle ou être carrément radicale et ne pas en mettre? Nous en sommes arrivées à la conclusion que dans chacune des possibilités, certaines personnes ressentiraient une gêne. J’ai donc pris la décision de faire apparaître un surtitrage partiel, sous la forme quasiment de haïku qui donne accès au sens principal du texte et qui permet aux spectateurs et spectatrices de ne pas être seulement les yeux rivés sur l’écran et de se laisser aller à la proposition musicale, comme lors d’un concert.

Concernant le travail lumière, c’est Claire Gallien qui signe la création. Claire vient plutôt du milieu du concert et c’est exactement ce que je recherchais pour ce projet : une lumière franche, nette et sans concession.

Kae Tempest
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Kae Tempest

Un avis sur The Line is A Curve de Kae Tempest ?

D. B. Pour la petite anecdote, cet album est sorti le 8 avril 2022, jour où avait lieu notre deuxième représentation rennaise, encore une connexion !

The Line is A Curve est l’album où Kae continue d’explorer de nouveaux univers musicaux et c’est très plaisant de suivre cette prise de liberté. Malgré tout, il est difficile pour moi d’avoir un avis seulement sur cet album. J’ai plutôt envie de vous inviter à découvrir toutes ses œuvres de façon chronologique en commençant par son premier album Everybody Down qui partage la même structure narrative que son roman « Écoute la ville tomber ». Et surtout, allez voir Kae en concert, c’est véritablement une expérience.


*20 est la première création de Delphine Battour, alors étudiante en arts du spectacle à l’Université Rennes 2. Elle a été présentée en 2013 lors de la 21e édition du festival des arts de la scène, Entrez dans l’Arène !  
**Le spoken word (littéralement « mot parlé ») est une façon particulière d'oraliser un texte, qu'il soit poétique ou autre.

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