Photo : Fred Beveziers.
Vous êtes journaliste indépendant : pouvez-vous nous détailler pour quels médias et sur quelles thématiques vous travaillez exactement ?
Je travaille pour différents médias : à la fois pour la presse, pour des magazines comme Bretons en cuisine par exemple, pour la télévision en tant qu’auteur de documentaire ; je fais également, à la marge, de la photo, et j’écris aussi des livres de non-fiction.
Je me suis spécialisé sur la thématique de l’agriculture au fil des ans parce que j’étais correspondant du Monde en Bretagne de 2016 à cette année, et que dans cette région, le sujet est incontournable. En plus, en tant que fils de paysan breton, j’ai un attrait pour le sujet. Mais ce n’est pas forcément ma marotte unique. En fait, je ne suis pas tant spécialisé sur une thématique que sur une approche : celle du long cours. J’aime vraiment prendre le temps pour du reportage ou de l’enquête, que ce soit 2 semaines, 6 mois, un ou 7 ans, malgré les contraintes techniques et financières ; j’aime le journalisme de décryptage plus que l'investigation au sens strict, c’est-à-dire expliquer, montrer et surtout contextualiser. Je travaille principalement sur la Bretagne parce que c’est là où je vis et que j’ai choisi de moins voyager à l’étranger, mais j’ai fait des reportages durant des années sur la Russie et l’ex-URSS. Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont les personnes transforment les lieux et inversement. Je trouve qu’on ne parle pas suffisamment des lieux de manière générale, du façonnement des paysages notamment. Avec le recul, je pense que j’aurais plutôt dû faire une licence en géographie. Malheureusement, en France, c’est une discipline peu valorisée - d’ailleurs je ne comprends pas qu’elle soit enseignée avec l’histoire au lycée, cela devrait être un enseignement à part entière.
Quelle discipline avez-vous choisi d’étudier à l’Université Rennes 2 ?
Je suis entré à Rennes 2 en 2005 en licence 3 d’histoire, après deux ans de prépa lettres. J’ai fait une première année de master, et puis je suis allé à Tours en école de journalisme. Je n’y suis donc pas resté très longtemps mais j’avais beaucoup de potes qui étudiaient à Rennes 2 donc j’y ai passé du temps avant mes études et après, j’ai couvert un certain nombre d’événements en tant que journaliste.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’étudier l’histoire ?
J’avais déjà comme projet d’être journaliste au lycée, mais personne autour de moi ne faisait ça, donc je ne savais pas trop comment m’y prendre. C’est vraiment en prépa qu’étudier l’histoire est devenu une évidence, grâce à des profs exceptionnels - saluons Monsieur Gibert du lycée Chateaubriand ! J’ai senti que d’un point de vue professionnel, cette mise en perspective était ce qui se rapprochait le plus du journalisme. On dit que le journalisme est l’histoire du présent. Donc il y avait une cohérence pour moi, et c’est aussi pour cette raison que j’ai choisi une option géopolitique, pour étudier les rapports de force, les dynamiques territoriales, avec une notion de transdisciplinarité puisque cela implique aussi la sociologie, la politique, l’économie, etc.
Quels sont vos souvenirs de la formation et de l’université ?
Je garde un excellent souvenir de Rennes 2, d’un lieu de liberté et d’émulation, avec des profs de haut niveau. J’ai découvert cet aspect très anglé de l’histoire : le fait qu’en étudiant des thématiques très précises qui peuvent paraître à certaines personnes secondaires, on raconte beaucoup de choses sur une époque ou une société. Je pense à un cours que j’ai eu sur l’histoire de la police au 19e siècle, par exemple. Et puis j’ai un super souvenir de l’ambiance, d’un bouillonnement culturel. Des sandwichs au thon aussi, qui eux ne me manquent pas car j’en ai beaucoup trop mangé à l’Erève [rires] !
Je me souviens également d’un mouvement social, de contestation du CPE. Je n’y ai pas vraiment participé mais j’ai suivi, je suis allé parfois en manif’. J’ai assisté aux fameux votes, aux discussions entre les “pour”, les “contre”, etc. Rennes 2 est parfois décriée pour ça, mais en plus d’être une super école des humanités, c’est aussi une école de la vie démocratique. Ce n’est pas un temple à l’écart du monde, mais une fac inscrite dans son temps et dans sa ville, pour le meilleur et pour le pire. À notre époque, alors qu’on vit une crise démocratique, de la représentation, je pense qu’on a plus que jamais besoin de ces lieux où la jeunesse apprend la démocratie, même de façon imparfaite. Au-delà de l’aspect revendicatif avec les blocages, il y a une émulation autour de questions importantes pour l’époque, dans un monde bouffé par la technoscience, par des formes de rationalités - pas forcément rationnelles d’ailleurs -, par un culte de la technique et des sciences qu’on appelle “dures”.
Vous n’étiez donc pas un étudiant particulièrement engagé ?
Non, je suivais les assemblées générales et je m’intéressais aux enjeux, mais je n’avais pas d’engagement associatif sur le campus. J’étais trop occupé à côté des mes études. J’étais bénévole pour le mensuel culturel gratuit La Griffe, et à Radio Laser à Guichen. Et puis, je travaillais comme éboueur dès que j’avais le temps - et en plus, on faisait la fête !
Sur le plan professionnel, que vous a apporté la formation et que vous mettez à profit dans votre métier aujourd’hui ?
Avant la licence, j’ai eu une expérience hyper formatrice en prépa, où l’on est pris au collier pour former son esprit de synthèse, sa manière de structurer, d’argumenter, etc. J’ai approfondi ça à la fac, en développant le travail en autonomie, la responsabilisation et vraiment l’ouverture d’esprit et un regard critique. Ce sont des choses très importantes dans mon métier : être curieux, regarder ce qui peut se passer à droite ou à gauche… J’ai d’ailleurs passé beaucoup de temps à la BU à lire des choses qui n’étaient pas forcément liées à mes cours.
Comment avez-vous vécu le fait de recevoir le Prix Albert-Londres pour votre ouvrage Silence dans les champs ?
Ça a été une lessiveuse d'émotions, de sollicitations, de responsabilités aussi, car le sujet est grave et j'ai été amené à en parler en public, notamment à Rennes 2 à la BU [dans le cadre du cycle Verdoyons, NDLR]. Il ne fallait surtout pas raconter de bêtises. Donc ça a été assez intense et ça l’est toujours. C’est une forme d'aboutissement pour un journaliste, car ce prix est reconnu pour son sérieux et récompense des travaux qui ont été gouvernés par la rigueur et l'obstination, des fils qui m’ont vraiment guidé pendant mon travail. Je me dis aussi que je viens de loin ; même si je suis passé par une scolarité élémentaire privée en bon Breton catholique [rires], c’est le public (la prépa, la fac, l’école de journalisme) qui m’a formé professionnellement, et sans piston ! C’est donc une forme de reconnaissance du travail accompli. Et au-delà de ma petite personne, c’est important pour le sujet en question, et pour la Bretagne, même si ça peut être douloureux.
Gardez-vous des liens avec le monde universitaire ?
Pendant mon enquête, je me suis appuyé sur de nombreux travaux de chercheuses et de chercheurs, notamment de Rennes 2. Je pense par exemple à la thèse en sociologie d’Ali Romdhani sur “les conflits d’usage au cœur de l’élevage breton”, un travail très précieux pour moi. Je naviguais complètement à vue sur certains aspects de mon enquête, en l'occurrence les différentes formes de brutalité qui s’exercent en Bretagne au sein du système agro-alimentaire et vers l’extérieur. J’étais face à un casse-tête méthodologique et déontologique et j’ai pu m’appuyer sur des travaux de plusieurs années, validés scientifiquement, et notamment sur sa notion d’”ordre social breton”, un concept permettant de poser des mots très justes sur une réalité gazeuse.
Sur quel projet travaillez-vous désormais ?
Je travaille sur des prolongements audiovisuels du livre, en documentaire et en fiction.