Date de publication
23 février 2024
modifié le

Découvrir le field recording avec Pierre Huyghe (Ephere)

Le campus Mazier vous propose d'assister à la performance musicale immersive de l'artiste Pierre Huyghe (Ephere), en collaboration avec Ella Daly. Une expérience singulière de contemplation sonore.

Portrait de Pierre Huyghe
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Pierre Huyghe (Ephere)

Ancien étudiant de l'Université Rennes 2, Pierre Huyghe alias Ephere, est un musicien captivé par les sons de la nature. Designer sonore et performeur, il crée des paysages sonores électroniques immersifs qui inspirent au lâcher prise, à la contemplation des horizons lointains et à la connexion avec la nature. Il est également le fondateur de Stellar Transitions, label et chaîne de podcasts dédiés à la musique ambient.

Il présentera sa performance mardi 19 mars 2024 et animera un atelier de performance live ouvert aux étudiant·es et personnels de l'université. Rencontre.

Vous êtes titulaire d’un master de Création numérique à l'Université Rennes 2. Pourquoi avoir choisi cette formation ?

Pierre Huyghe : Musicien autodidacte, j’explorais les musiques électroniques dans ma pratique personnelle depuis l’adolescence. Avant d’arriver à Rennes, en 2019, je jouais régulièrement en tant que DJ dans des clubs et soirées à Lille, là où j’ai commencé mes études. J’étais passionné de techno, mais aussi par des musiques comme l’ambient et le drone, et je souhaitais ouvrir ma pratique à ces genres et aussi bâtir des projets de live qui mêleraient outils numériques comme analogiques. Alors que je cherchais un master, celui de Création numérique offrait ce qui correspondait à mes attentes : une formation de niche mais proposant une large liberté dans les champs d’expression artistique, avec un accompagnement et des infrastructures de qualité, et qui plus est en Bretagne, ma terre d’adoption.

Comment s’est déroulée la formation ? Pouvez-vous nous parler des travaux que vous avez réalisés ?

P. H. : J’ai assez rapidement su vers où je voulais aller, à la fois dans ma recherche théorique comme pratique, les deux devant être absolument complémentaires dans le cadre d’un tel master : passionné par la nature, les grands espaces, mais aussi par les sensations et réactions exprimées par le corps humain, je m’orientais vers des travaux mêlant paysages sonores immersifs et performance live tout en recherchant sur le field recording et la perception sonore et la psychoacoustique.

Trois grands projets se sont dégagés de mon master. Il y a eu deux grandes collaborations, pour lesquelles j’ai composé (et performé dans le premier cas) des bandes sonores : Creative Harmony, expérience de création collaborative en réalité virtuelle, que nous avons produit avec Julien Lomet et Johan Julien, également issus du master, et des équipes de l’INRIA de Rennes ; Kaïros, encore une fois avec Johan Julien, installation interactive qui place le spectateur au centre de l’œuvre en décomposant ses mouvements en temps réel comme une sorte de peinture numérique. À titre personnel, j’ai aussi présenté The Fields Above The Skies, projet de performance musicale immersive qui fut d’ailleurs une sorte de prototype de Terra Australis.

En quoi consiste le field recording ?

P. H. : Il s’agit d’une pratique qui consiste à capturer des sons de l’environnement réel, qu’ils soient naturels ou issus de l’activité humaine, à l’aide d’un enregistreur audio. C’est une technique que l’on retrouve dans divers domaines, de la création sonore à la recherche scientifique, et qui transcende d’ailleurs les frontières entre la documentation, l’art et la conservation de l’environnement. C’est à la fois une méthode précieuse qui permet de préserver des témoignages sonores de notre monde en constante évolution, mais aussi un matériau brut pour la création sonore qui met en valeur tout son potentiel artistique et esthétique. Le field recording, en exposant et en faisant ressentir les sonorités de la nature, jouent aussi un rôle important dans la sensibilisation à la conservation de l’environnement : ils rendent compte de la beauté de notre monde naturel, mais aussi de sa fragilité, de sa valeur inestimable.

Vous présenterez Terra Australis, une performance musicale immersive, le mardi 19 mars prochain à l’université. Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce projet ?

P. H. : Alors que j’étais étudiant en master, j’avais l’idée d’une performance musicale inspirée par un séjour et des enregistrements effectués dans les Pyrénées au cours de l’été 2020, et dotée d’un système de diffusion sonore spatialisé. À ce moment-là, je m’intéressais aussi à la psychoacoustique, et j’ai voulu expérimenter un espace d’expression particulier en plongeant les spectateurs dans le noir durant la performance : l’obscurité, en plus de créer une atmosphère mystérieuse et intime, peut conduire à une expérience auditive plus immersive en aiguisant l’ouïe, le cerveau y allouant davantage de ressources sensorielles. Elle favorise ainsi l’expérience synesthésique, où les stimuli sensoriels d’un sens peuvent déclencher des sensations dans un autre sens, et dans notre cas générer des images mentales, voire des sensations tactiles chez les auditeurs. Il s’agissait d’un projet expérimental, que j’ai présenté à deux reprises durant le master à l’occasion de l’exposition annuelle que nous organisions pour la semaine des arts (JACES), au mois d’avril. Terra Australis est une version largement améliorée de ce projet et qui prend la thématique d’un voyage aux îles Kerguelen, dans la partie subantarctique du globe, grâce à la collaboration avec Ella Daly, qui a eu la chance de pouvoir y séjourner début 2023.

 

Paysage bord de l'eau et barque abandonnée
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Terra Australis, 2023 © Ella Daly - Institut polaire français

Vous avez collaboré avec Ella Daly, biologiste et chercheuse à l’Université de Rennes, qui a produit la matière première de Terra Australis : de nombreuses captations sonores des îles Kerguelen où elle étudiait l’impact du changement climatique sur les écosystèmes terrestres. Ses photographies argentiques feront également l'objet d'une exposition temporaire. Que pensez-vous de cette collaboration entre arts et sciences ?

P. H. : Nos domaines peuvent paraître opposés, Ella étant dans les sciences dites ‘‘dures’’ et moi dans l’expression artistique expérimentale, mais une raison fait qu’ils sont en réalité très proches : nous sommes tous·tes les deux de grand·es passionné·es de nature. Le monde vivant et la façon dont nous le percevons sont la clé de voûte de cette collaboration, et nous apprécions ainsi le field recording à la fois pour son caractère documentaire comme esthétique. Je dirais même que les arts et les sciences sont complémentaires, car ils offrent deux perspectives essentielles sur la compréhension du monde qui, lorsqu’elles se rejoignent, enrichissent notre expérience humaine. Les sciences fournissent une base de connaissances factuelles, rationnelles, tandis que les arts apportent une dimension émotionnelle, esthétique et narrative, qui permet alors de donner un autre sens à ces découvertes scientifiques et de les communiquer de manière accessible et créative. Les captations d’Ella, sonores comme photographiques, forment cette base de données documentaire, matière essentielle de notre projet, tandis que mon travail les subjugue et les transmet de façon poétique et esthétique. Ensemble, nos deux domaines créent une synergie puissante, interprétation subjective d’une compréhension du monde et de notre condition humaine.

Portrait d'Ella Daly
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Ella Daly, biologiste et chercheuse à l'Université de Rennes

Revenir à l'université Rennes 2 pour présenter Terra Australis et animer un atelier de performance live est-il important pour vous ?

P. H. : J’adore enseigner ! J’ai déjà pu le faire au cours du master en animant des ateliers de création sonore, dont un qui était dédié à la performance et à la création en temps réel dans un contexte de spectacle ou de performance. Le master, mais aussi mon expérience personnelle m’ont permis de développer des compétences dans le domaine des musiques électroniques jouées en live, et c’est un vrai plaisir pour moi de pouvoir transmettre ces connaissances. D’autant plus que cet atelier emboîtera le pas à Terra Australis, qui est un projet sur lequel je travaille depuis maintenant des années et qui, je crois, est personnellement l’un de mes plus aboutis.

Sur un plan personnel, quels souvenirs gardez-vous de vos études à Rennes 2 et de la vie sur le campus ?

P. H. : J’ai en mémoire une université bienveillante et à l’écoute, à la fois lors de mes études comme lors de l’accompagnement professionnel de ma carrière d’artiste, comme le démontre son soutien pour un projet tel que Terra Australis. Durant mes études, j’ai pu disposer d’une grande liberté d’expression artistique, favorisée par des conditions et infrastructures de qualité, qui nous ont permis de faire aboutir des expositions et des projets avec flexibilité et valorisation – et ce même en temps de pandémie ! Mon passage à Rennes 2 a été une étape charnière dans mon développement artistique, professionnel comme personnel.


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