Marche climat à Paris, le 9 mai 2021. Photo de Jeanne Menjoulet.
Les rapports du GIEC se succèdent, tirant de toujours plus nombreuses sonnettes d’alarme ; malgré cela, la prise en considération de l’urgence climatique semble très souvent en décalage avec les faits. Dans ce sens, on peut dire qu’il existe un écart important entre l’action politique et les éléments mis en lumière par les scientifiques. La campagne pour la présidentielle française 2022 a été à ce titre « exemplaire » : la question du climat aura peu occupé les débats entre candidats, malgré des demandes répétées pour une meilleure prise en compte et des propositions alternatives.
Ces différentes manières de « parler du climat », notamment sur les réseaux sociaux, ont fait l’objet de travaux récents réalisés dans le cadre de l’étude d’Impakt Faktor qui avait pour objet les narratifs climat pendant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron (2017-2022).
Un écosystème activiste très dynamique
L’un des nombreux enseignements de l’étude concerne la problématique de l’incarnation dans le champ de l’action climatique. Sous le premier quinquennat Macron, le mouvement climat a été particulièrement actif, soit en organisant des marches au retentissement important, soit en proposant des actions médiatisées. Qu’il s’agisse de l’Affaire du siècle, des actions d’Extinction Rebellion ou de Greenpeace, ou encore des manifestations menées tambour abattant par Anv-Cop 21, les Amis de la Terre ou Alternatiba, sans parler des données compilées par RAC France, on sait que la France dispose d’un écosystème activiste particulièrement actif.
Une dynamique liée à la fois à la prise de conscience concernant le climat, et à un sentiment d’urgence concernant les actions à entreprendre, comme l’a souligné Jean Le Goff. Mais on le sait : au-delà de ces mouvements essentiels et riches, l’espace public doit aussi permettre à des figures d’incarner ces luttes, afin de cristalliser une manière d’en parler et de les médiatiser plus aisément.
Jancovici… et les autres
C’est sur ce point que l’étude d’Impakt Faktor attire plus particulièrement l’attention : dans cette dimension, si l’on étudie les réseaux sociaux (YouTube, Facebook, Reddit et Instagram), une figure émerge nettement en France – et de très loin par rapport aux autres.
Cette figure, c’est celle de Jean-Marc Jancovici : ingénieur de l’École polytechnique, vulgarisateur hors pair, consultant, président du Shift Project et membre du Haut Conseil pour le climat, il participe depuis plusieurs années à sensibiliser l’opinion publique à la cause climatique, tout en co-signant des études scientifiques sur le sujet.Du point de vue des réseaux sociaux, il est très clairement le plus présent, le plus lisible, le plus suivi ; bref, celui qui provoque le plus fort taux d’engagement et de commentaires.
Des figures encore très homogènes
Cette singularité n’a rien d’un accident. D’une certaine manière, la figure de l’ingénieur à la française apparaît particulièrement « câblée » pour incarner une forme de rationalité rassurante face à la crise climatique, tout en étant en capacité d’alerter l’opinion publique grâce à la légitimité professionnelle qui lui est publiquement conférée. Là où, à l’international, ce sont des figures militantes comme Greta Thunberg qui sont préférées, la France semble faire figure d’exception. La jeune Suédoise est particulièrement mal perçue dans notre pays.
Jean-Marc Jancovici n’est certainement pas le seul à engranger du soutien sur les réseaux sociaux : le journaliste militant Hugo Clément, l’astronaute Thomas Pesquet, le réalisateur Cyril Dion ou encore le scientifique Aurélien Barrau ont tous, à des degrés divers, rassemblé des taux d’engagement forts en fonction de leurs publications.
Toutes ces figures ont toutefois un point commun : elles représentent des hommes blancs, issus d’une certaine sociologie. Il convient ici d’être immédiatement clair : il ne s’agit pas de critiquer leur présence, car elle est plus que nécessaire face à la crise climatique ; en revanche, on se doit de noter les spécificités sociologiques des figures climatiques en France. Les noter, c’est en souligner les évidences, mais aussi peut-être les limites.
Pour le moment, il y a peu de place en France pour des figures issues de la diversité ou pour des femmes, même si l’écoféminisme est en train d’émerger comme un courant légitime sur un certain nombre de questions. S’agit-il ici d’une limite qui empêche justement une prise en considération plus large des thématiques climatiques ? C’est une hypothèse qu’il ne faut pas s’interdire de questionner.
L’effet Greta Thunberg
Au-delà de ce constat, c’est le principe même de la figure ou de l’incarnation qui peut poser question. Après tout, ce concept fait débat depuis longtemps en sciences politiques, et l’émergence de mouvements collectifs et de demandes d’une plus grande prise en considération de la représentativité citoyenne pourrait plaider pour un abandon de cette question.
Pourtant, on le voit bien : sur les réseaux sociaux, mais pas uniquement, la personnalisation fonctionne particulièrement bien pour relayer des messages, comme l’a souligné Nadia Hassani – sans aller bien sûr jusqu’à l’incarnation providentielle face à l’urgence climatique. Néanmoins, la circulation médiatique des personnages publics, avec toutes les limites que cela comporte, permet de constituer un véhicule utile pour la transmission d’informations.
La militante Greta Thunberg s'exprime sur l'urgence climatique devant le Reichstag, à Berlin, le 24 septembre 2021. Photo Stefan Müller.
Ainsi, dans une étude collective particulièrement riche, plusieurs chercheurs britanniques et états-uniens faisaient état d’un « Greta Thunberg effect » auprès des populations engagées pour la cause climatique. Cet effet n’a rien d’anodin et montre à quel point les figures populaires et médiatiques, lorsqu’elles incarnent des causes politiques, peuvent provoquer des effets d’entraînement à même de sensibiliser plus d’individus et, au final, de conquérir l’espace public et médiatique.
Cela pose aussi les limites et les risques de l’énonciation ventriloque, chère à Marie-Anne Paveau, mais mérite également de poser un fait : si nous ne nous sentons pas représentés et légitimés par les personnes qui parlent du climat, comment faire pour nous sentir nous-mêmes légitimes pour agir et nous engager ?
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.