Date de publication
11 mars 2024
modifié le

Quatre exemples de thèses labellisées "recherche-création"

Une vingtaine de doctorant·es mènent actuellement à Rennes 2 des travaux sous ce label, qui reconnaît la production d'œuvres artistiques dans le cadre de la thèse, une spécificité de l’établissement. Certains d'entre eux et elles bénéficient également de résidences dans d'autres universités à l'international, grâce au Réseau interuniversitaire d’écoles doctorales création, arts et médias (Rescam). Découvrez quatre projets qui reflètent la diversité et la richesse du dispositif. 

Alice Rosenthal, Renouveau du cinéma documentaire sur les animaux depuis les années 2000 : essor d’une approche contemplative

Thèse menée à l’Université Rennes 2 sous la direction d’Antony Fiant. 
Dans le cadre d’une résidence organisée par le Rescam, elle sera accueillie au sein du laboratoire LITT&ARTS de l’Université Grenoble Alpes pour son projet de court-métrage documentaire PIG, en juin 2024.

extrait du film PIG d'Alice Rosenthal montrant un porc de dos dans un élevage
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Capture d'écran de PIG d'Alice Rosenthal.

Comment votre résidence s'inscrit-elle dans votre travail de thèse en recherche-création ? 

Dans cette thèse de recherche-création en études cinématographiques, je souhaite explorer une tendance du cinéma d’auteur contemporain apparue dans les années 2000 avec des documentaires contemplatifs sur les animaux – que l’on pense par exemple à Bovines (2011) d’Emmanuel Gras ou à Bestiaire (2013) de Denis Côté. Mise en lumière par différents chercheurs et critiques de cinéma, voire revendiquée par les cinéastes eux-mêmes, cette veine se distingue par la remise en cause de la dramaturgie, la non-discursivité et l’utilisation de la technique cinématographique pour se rapprocher d’une perspective non-humaine.

Grâce au label recherche-création, je me propose de poursuivre ces réflexions théoriques par la réalisation de PIG, court-métrage sensoriel sur les porcs bretons. Bien que le cochon soit un animal phare de la région, avec deux fois plus de porcs que d’habitant·es, il est très rare d’en observer car les élevages, majoritairement intensifs, sont clos. En portant attention à la vie des cochons dans ce qu’elle a a priori de plus ordinaire, je souhaite inviter le spectateur à s’engager dans un acte de contemplation — interrogeant par là-même notre rapport à ces animaux d’élevage dédiés à la consommation. Autrement dit : ré-apprendre à voir – et à écouter – un animal qui nous semble si commun en approchant sa « manière d’être vivant » grâce à la technique cinématographique.

Cette résidence Rescam m'offrira l'opportunité de travailler sur le montage image comme sur le montage son de PIG. Mon court-métrage étant consacré au quotidien des porcs dans une ferme bretonne, j’envisage d’accumuler plusieurs heures de rushs : l’étape du montage s’avère donc cruciale pour sélectionner et faire dialoguer les plans. Si PIG ne comporte ni interview ni voix-off, je souhaite accorder une place très importante aux bruits produits par les porcs et au son d’ambiance : le montage son joue donc un rôle essentiel dans la dimension contemplative et sensorielle du film. 

 Quel dispositif mettrez-vous en œuvre sur place à l’Université Grenoble Alpes ? 

Je travaillerai essentiellement dans la salle de montage image et la salle de montage son mises à disposition par l’Université Grenoble Alpes. 

Quelle restitution envisagez-vous ?

En plus des salles de montage, l’Université Grenoble Alpes est dotée d’une salle de cinéma de 65 places qui offrira la possibilité d’une restitution de mon travail. Celle-ci aura lieu à la fin de la résidence pour les étudiant·es, les enseignant·es et le personnel de l'université. 

Tali Serruya, La (ré)appropriation des espaces urbains, des cultures locales et des formes de sociabilité à partir des expériences performatives (titre provisoire)

Thèse menée à l’Université Rennes 2 en cotutelle avec l’Université du Québec à Montréal, sous la direction de Sophie Lucet. 
Dans le cadre d’une résidence organisée par le Rescam, elle sera accueillie au sein de l’unité de recherche ACCRA de l’Université de Strasbourg pour son projet de solo performatif La co-création comme laboratoire politique (titre provisoire), en mars et juin 2024.
 

"On en parle au kebab" (2019-2020), Tali Serruya, Villa Bernasconi Centre d'Art, Ville de Lancy, CH. Photographe :  Dylan Perrenoud
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"On en parle au kebab" (2019-2020), Tali Serruya, Villa Bernasconi Centre d'Art, Ville de Lancy, CH. Photographe :  Dylan Perrenoud.

Comment votre résidence s'inscrit-elle dans votre travail de thèse en recherche-création ?

La résidence Rescam va me permettre de démarrer l'écriture de la conférence-performance qui activera l'installation d'œuvres réalisées en collaboration avec des personnes en situation de marginalité entre 2019 et 2024, que je prévois de présenter au moment de la soutenance. Celle-ci abordera les enjeux de la démarche, à travers un discours incarné, une parole intime et une analyse critique. Mettant en dialogue mon histoire personnelle et ma recherche académique, je chercherai ainsi à rendre accessible les enjeux ainsi que les limites de ma recherche autour des pratiques "dysfonctionnelles" et les théories sur la reconnaissance et la justice sociale dans le contexte de la création artistique.

La résidence aura lieu en deux temps : une première semaine à la fin du mois de mars, destinée à l'écriture. Suivie de dix jours début juin, destinés à la mise en corps et en espace de la conférence-performance. Une présentation du work in progress aura lieu à la fin de ce deuxième temps de résidence.

Quel dispositif mettrez-vous en œuvre sur place à l’Université de Strasbourg ?

Pendant la première semaine, je serai accueillie au Studium puis je vais me consacrer à la recherche ainsi qu'à l'écriture de la conférence-performance. Pendant la deuxième semaine, je serai accueillie à l'espace Cryogénie, où je pourrai tester les aspects formels de celle-ci, à savoir, le rapport au public, la mise en scène ainsi que l'articulation entre le langage oral et le langage cinématographique que je vais développer en collaboration avec un vidéaste qui m'accompagnera pour y intégrer une dimension documentaire et visuelle.

Quelle restitution envisagez-vous ?

Une présentation publique aura lieu à la fin de la résidence à Strasbourg, dans la salle Cryogénie, le 8 juin 2024.

Aline Derderian, Danser er inter-agir : De gestes diasporiques féminins en performances chorégraphiées. Souvenirs culturels incarnés entre Californie, Europe et Arménie (de la fin des années soixante à aujourd’hui)

Thèse soutenue à l’Université Rennes 2 en novembre 2022, sous la direction de Marie-Noëlle Semet-Haviaras.

Aline Derderian dans Of Basalt
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Crédit : CONSENSUS & Aline Derderian

Comment votre résidence s'est-elle inscrite dans votre travail de thèse en recherche-création ?

La majorité de mon parcours en danse, comme en recherche, s’est effectué à Londres, au Royaume-Uni. Là-bas, la recherche-création est inhérente à la manière même d’enseigner les pratiques créatives que ce soit dans des conservatoires comme dans des universités d’art. J’ai donc été très vite encouragée à penser mes projets en fonction des possibilités environnantes plutôt qu’à fantasmer des créations basées sur des budgets fictifs. J’aborde ce sujet car tout me semble lié. Se lancer dans une aventure doctorale en recherche-création sans financement, m’a, d’une certaine manière, poussée à une forme de création qui envisageait ces problématiques comme des challenges plutôt que des obstacles. J’ai donc veillé à rester très ouverte aux appels à projets dans le domaine des arts visuels ou en dehors des théâtres par exemple, pour bénéficier de temps de répétition et autres résidences en vue de restitutions et cherché à explorer des thématiques chorégraphiques qui me serviraient, plus tard, de terreau à l’écriture… En me confrontant à cette réalité, j’ai initié toute une recherche chorégraphique solitaire, laquelle m’était peu familière jusqu’en 2019-2020 et qui a abouti à la création de trois solos présentés le jour de la soutenance en 2022. 

Quel dispositif avez-vous mis en œuvre, et où ?

Au début, je me suis rapprochée de structures associatives qui proposaient des systèmes de co-production comme le Théâtre de Verre dans le 19e arrondissement de Paris. En échange de la location gratuite de leurs espaces, la recette des représentations était partagée entre leur association, et ma compagnie CONSENSUS. J’ai ensuite fait appel au Trinity Laban, mon ancien conservatoire, cette fois pour des temps de répétitions et de partage d’étapes de travail. En 2020, un festival italien m’a sollicitée pour une commande. Cette partition dansée m’a conduite au Centre National de la Danse de Pantin, à Réservoir danse à Rennes ou encore au Générateur à Gentilly. Ce solo a été décisif tant pour la rédaction de ma thèse que pour les thématiques qu’elle explore ou les méthodologies mises au point afin de partager mes "résultats". Enfin, j’ai eu l’opportunité d’être chargée d’ateliers chorégraphiques et de scénographie pour la danse entre Londres et la France, ce volet de transmission des savoirs en danse fut déterminant quant à la tournure que je souhaite donner maintenant à mon parcours d’après thèse.

Quelles restitutions ont été faites ?

Outre les restitutions en festivals et autres sorties de résidences courtes évoquées plus haut, le peintre Guillaume Toumanian m’a invitée à ouvrir le vernissage de l’exposition MENK, à l’occasion de la quinzaine arménienne à Mont-de-Marsan en 2022. Cette expérience a servi d’étape, comme la clôture d’un chapitre. Ma soutenance de thèse a débuté avec ce même solo Of basalt, que j’ai choisi de montrer sous forme de performance-exposition.

 

 

En tant que membre du Rescam, l'Université Rennes 2 accueille également des doctorant·es labellisé·es "recherche-création" pour des résidences artistiques. 

Thibaud Ruellan, Ressusciter le mystère – Dramaturgie du rituel bachique dans la tragédie humaniste (1550-1580)

Thèse menée à l’Université d’Aix-Marseille sous la direction de Tristan Vigliano (Université d’Aix-Marseille) et de Tiphaine Karsenti (EUR ArTec de Nanterre). 
Dans le cadre d’une résidence organisée par le Rescam, il est accueilli à Rennes 2 au sein de l’unité de recherche Arts : pratiques et poétiques (APP) pour son projet de workshop expérimental autour de la transe au théâtre, du 26 février au 8 mars 2024.

thibaud ruellan au coeur de son installation

Comment votre résidence s'inscrit-elle dans votre travail de thèse en recherche-création ?

Une thèse en recherche-création est une synergie par laquelle une pratique artistique et une recherche théorique se nourrissent mutuellement. Personnellement, je conceptualise une certaine approche de la tragédie comme rituel, idée liée à l'origine qu'Aristote assigne à la tragédie et qui pourrait éclairer en particulier certains corpus textuels du XVIe siècle. Or, je me suis rendu compte en première année que le piège qui m'attendait serait de faire de la partie "création" de ma thèse une illustration de mon propos. Notamment grâce à mon CSI (comité de suivi individuel), j'ai pris conscience qu'il valait mieux utiliser la pratique comme un médium de recherche à part entière. 

Par exemple, dans le cas de cette résidence à Rennes 2, je vais mener une semaine de workshop autour de la transe pour le métier de l'acteur. L'idée est de jauger dans quelle mesure le théâtre peut renouer avec ses origines rituelles, ou si au contraire il est condamné à re-présenter, de l'extérieur pour ainsi dire, un tremblement sacré qui ne lui appartient pas. Cela implique de concevoir une procédure expérimentale de déclenchement et d'apaisement des états altérés avec un musicien, puis de faire traverser la procédure à des acteur·ices et enfin de mener des entretiens qui nourriront ensuite mon cheminement théorique. 

Quel dispositif mettez-vous en œuvre sur place à Rennes 2 ?

À travers l'appel à projet du Rescam, c'est en particulier à l'Unité de recherche Arts : Pratiques et poétiques que je me suis adressé. Grâce à Sophie Lucet, j'ai pu bénéficier d'une mise à disposition d'une salle au Bois Perrin [le site de l’EUR CAPS, ndlr]. Dans cet espace, trois jours sont consacrés à l'élaboration du matériau musical. Ensuite, quatre jours sont consacrés à accueillir des acteur·ices pour travailler ensemble les modalités, formes et natures des états altérés et questionner leur place et fonction possible dans la performance théâtrale. 

Quelle restitution envisagez-vous ?

Ma seconde semaine de présence à Rennes 2 est consacrée à la rédaction d'une synthèse ainsi qu'à des recherches complémentaires dans les locaux du laboratoire. Nous discutons en ce moment avec Sophie Lucet de l'occasion propice pour présenter ma démarche et mes résultats. Ce pourrait être pendant une séance de séminaire de master pour des étudiant·es en études théâtrales par exemple. 

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