Date de publication
12 octobre 2023
modifié le

“Une médaille olympique n’est pas toujours synonyme de reconnaissance”

Rencontre avec Michaël Attali, directeur du laboratoire VIPS2 de Rennes 2 et co-organisateur d’un colloque international dédié aux représentations des Jeux olympiques, qui s'est déroulé à Rennes le 18 octobre 2023 (les interventions ont été captées et sont à retrouver en vidéo). 

affiche colloque images olympiques

Comment, en tant que directeur de VIPS2 et avec l’ensemble de l’équipe du laboratoire, abordez-vous les JO 2024 ?

Cela fait une quinzaine d’années que je travaille sur l’histoire de l’olympisme sous différentes facettes. Faisant partie d’un collectif qui avait retracé l’histoire des Jeux de Paris de 1924, j’avais été amené à travailler sur des archives conservées au musée olympique à Lausanne. À partir de là, une partie de mes travaux ont porté sur ces questions. Quand je suis arrivée à l’Université Rennes 2, j’ai creusé ce sillon et le recrutement de plusieurs enseignant·es-chercheur·ses a permis de développer plusieurs études. Depuis 2017, c’est-à-dire à partir du moment où le Comité international olympique (CIO) a attribué les Jeux 2024 à Paris, j’ai mis en place un groupe de travail au sein du laboratoire autour de la problématique de l’héritage social et culturel des grands évènements sportifs. Nous scrutons donc ce qui se passe depuis des années ; nous avons également organisé un colloque qui a fait l’objet d’une publication aux Presses universitaires de Rennes. Nous sommes donc considéré·es comme des spécialistes de la question de l’héritage, souvent sollicité·es à la fois par des partenaires sportifs telles que des fédérations, ou des acteurs politiques. C’est ainsi que j’ai été invité à l’Élysée pour donner des éléments de compréhension aux conseillères et conseillers du président sur des événements sportifs comme les Jeux ou la Coupe du monde de rugby qui se déroule actuellement en France.

Vous co-organisez « Images Olympiques. Médiatisation et spectacularisation des Jeux Olympiques », un colloque international qui propose d’aborder historiquement la production et la diffusion des images sur l’olympisme. En quoi cette question des représentations peut nous éclairer sur les controverses olympiques d’aujourd’hui ?

Nous avons effectivement fait ce choix de nous intéresser aux images qui gravitent autour de l’olympisme, à sa médiatisation, en réunissant les meilleur·es spécialistes de la question en France et au niveau international. C’est un colloque pensé pour être très accessible au grand public et pas uniquement aux universitaires, les interventions se feront toutes à partir d’images. L’idée est de prendre le contrepied de travaux qui tendent à se focaliser sur l’événement comme une manifestation de performances exceptionnelles, de compétition entre les pays. Nous travaillons sur la mise en scène : comment participe-t-elle à renforcer ou à dépasser certaines tendances qui traversent le mouvement sportif et qui résonnent avec des problématiques sociales ? Les questions d'altérité, d’inégalités de genre, de migration, d’héroïsation ou de développement durable seront ainsi analysées au prisme de l’objet olympique. Ce sont des aspects qui traversent l’histoire des Jeux depuis 1896 mais qui sont aussi éminemment contemporains.

Marguerite Broquedis
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Marguerite Broquedis, première femme française médaillée olympique, en tennis, en 1928.

Justement, vous intervenez notamment lors du colloque au sujet de la figure de la sportive. Que pouvez-vous nous dire de la place des femmes dans les jeux olympiques ?

D’un point de vue purement statistique, les femmes ont été moins présentes que les hommes. Lors de premiers Jeux en 1986, aucune femme n’a participé, elles étaient 2% à Paris lors de la deuxième édition, et le taux de participation a progressivement augmenté mais très lentement. Pour cette présentation, je me suis intéressé au traitement médiatique dans la presse généraliste des médaillées olympiques françaises. C’est frappant de constater que la première championne olympique française, Marguerite Broquedis en tennis en 1928, n’a pas fait la Une des journaux et son nom est tombé aux oubliettes. Au fil des éditions, quelques sportives gagnent des médailles, mais les choses évoluent peu en termes de médiatisation. En 1948, Micheline Ostermeyer obtient trois médailles olympiques et reste encore aujourd’hui la 3e athlète la plus récompensées de l’histoire. Pourtant ses succès sont occultés pas les médias. L’une des raisons est probablement qu’elle gagne dans des épreuves auxquelles les femmes ne sont pas associées parce qu’elles ne correspondent pas aux stéréotypes de la féminité, le lancer de disque et de poids.

Christine Caron
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Christine Caron, médaille d’argent pour la France en natation à Tokyo, en 1964.

Il va falloir attendre 1964 pour voir une femme faire la une de la presse généraliste et notamment de Paris Match, l’un des titres les plus populaires. Mais la médiatisation de Christine Caron, médaille d’argent en natation à Tokyo, interroge : c’est un modèle stéréotypé de féminité qui est promue par la mise en scène de sa vie personnelle, de l’esthétique. Colette Besson, championne olympique sur le 400 mètres à Mexico en 1968, ouvre une nouvelle traversée du désert pendant plus de 20 ans, jusqu’en 1992 avec la première victoire de Marie-José Pérec. Là encore, cette médiatisation de grande envergure se fait par l’intermédiaire des codes de la féminité plus que par leurs qualités sportives. Il en sera de même avec Laure Manaudou. La première fait la une en robe haute couture, et la deuxième est davantage appréhendée par l’intermédiaire de ses aventures amoureuses que par ses performances exceptionnelles, aspect systématiquement mobilisé pour les hommes. En revanche, ces figures ont permis à de nombreuses jeunes filles de s’identifier et on constate que cette médiatisation joue un rôle favorisant le passage à l’acte des jeunes sportives ; Christine Caron marque par exemple le début d’une féminisation du sport en France. Les traversées du désert interrogent d’autant plus : dans quelles mesures l’absence de médiatisation ne participe-t-elle pas à une forme de désengagement des femmes de la pratique sportive ?

Ahmed Boughéra El Ouafi
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Ahmed Boughéra El Ouafi, champion pour la France du marathon en 1928.

Ce colloque fait partie du programme évènementiel imaginé par la CASDEN Banque populaire, "Arrêt sur image à 300 jours des jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024". Une exposition est notamment présentée par le groupe de recherche ACHAC, qui travaille sur la colonisation, la décolonisation, l’immigration et le post-colonialisme. Quels liens peuvent être faits entre ces questions et l’olympisme ?

En effet, ce colloque s’inscrit dans un événement plus large durant 4 jours [voir le programme complet], avec cette exposition que j’ai participé à concevoir et qui sera inaugurée à 17h le 17 octobre sur le parvis de l’Hôtel de ville de Rennes, puis visible dans le hall B sur le campus Villejean à partir du 16 octobre. Nous avons voulu mettre en avant des figures oubliées et analyser pourquoi justement elles l’étaient. On peut citer le décathlonien amérindien Jim Thorpe, probablement l’un des plus grands athlètes de l’histoire, disqualifié en partie en raison de son origine ethnique et aussi à cause d’accusations sur sa transgression du principe d’amateurisme qui ne correspond pas au modèle olympique promu ; ou encore Ahmed Boughéra El Ouafi, qui remporte pour la France le marathon en 1928, l’un des titres les plus prestigieux. Sa victoire est considérée comme une surprise, alors qu’il est très performant, et elle n’influe pas sur sa trajectoire, car il meurt 30 ans plus tard dans la misère. La médaille n’est donc pas synonyme de reconnaissance sociale dans une France où l’égalité reste formelle. Il faut noter que l’exposition fonctionne très bien pour susciter des interrogations et provoquer des discussions sur plusieurs aspects. 

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