Date de publication
26 novembre 2024
modifié le

Procès du RN et de Marine Le Pen : le parti d’extrême droite est-il menacé ?

Le procès des assistants parlementaires du RN s’achève ce mercredi 27 novembre. Marine Le Pen et 26 cadres de son parti sont mis en cause pour détournements de fonds publics européens. Ils risquent de lourdes amendes et des peines d’inéligibilité. Le jugement ne sera pas connu en janvier. Quelles conséquences aura ce procès pour le parti d’extrême droite ? Entretien avec la sociologue et spécialiste du RN Estelle Delaine.

Ce procès représente-t-il un danger pour le RN ?

Estelle Delaine : Je ne crois pas le RN en danger, quand bien même Marine Le Pen et plusieurs cadres pourraient être inéligibles. Nous vivons dans un moment de grande défiance à l’égard des institutions politiques, en partie due au fait que de nombreux partis ou personnalités politiques de tous bords ont été jugés et condamnés pour des raisons multiples – agressions sexuelles, fraudes fiscales, détournement de financements publics : Claude Guéant, Jérôme Cahuzac, Patrick Balkany, Jean-Vincent Placé, Nicolas Sarkozy… Cela peut produire une forme d’indifférence à l’égard des affaires publiques dont bénéficie le RN.

Notons que les procès n’affectent pas forcément les carrières politiques, même si parfois certains se mettent un temps en retrait avant de revenir – Donald Trump.

Par ailleurs, le Rassemblement national construit sa communication politique autour de la partialité des juges qui mèneraient un « procès politique », discours qui est repris par des hommes politiques de droite, ou par des journalistes : cela peut avoir pour effet de limiter l’impact du procès sur l’opinion.

Finalement, l’histoire du FN/RN a déjà été marquée par des procès, pour « provocation à la haine et violence raciale » lors des propos sur les chambres à gaz de Jean-Marie Le Pen en 1984, par exemple. Celui-ci aura-t-il plus d’impact ? Les électeurs se passionnent-ils et elles pour un procès un peu technique qui concerne les financements européens ? On peut en douter.

Certains politistes pensent que le RN aurait atteint son plafond de verre, du fait de sa faible crédibilité pour gouverner, de son manque de professionnalisme. Quelle est votre analyse ?

ED : Le fait de ne pas avoir un parti « structuré » n’est pas forcément déterminant : Emmanuel Macron a gagné la présidentielle en 2017 avec un parti très jeune.

Par ailleurs, au contraire, les enquêtes montrent bien une professionnalisation de ce parti. Le RN est désormais composé de dirigeants salariés : assistants parlementaires, élus locaux, salariés du parti… Que ce soit à l’échelon local, national ou européen, les cadres du RN sont des professionnels de la politique avec des compétences généralement attendues dans la gestion de mandats, l’organisation de campagnes électorales, l’interaction avec des journalistes], la négociation d’alliances et de propositions dans les institutions]. Cela ne veut pas dire que le RN est devenu un parti « comme les autres », mais l’extrême droite a fait du chemin depuis les années 1970.

Rappelons aussi que le RN a désormais de très nombreux élus [30 eurodéputés, 124 députés, une dizaine de mairies]. Cela a pour conséquence de générer des sources de financement importantes qui vont encore lui permettre de se renforcer.

Quid des « erreurs de casting » avec des candidats racistes ou manifestement incompétents aux législatives ?

ED : Aux législatives anticipées, certains candidats ont pu défrayer la chronique : ils disent plusieurs choses sur le personnel frontiste.

Quand on regarde la sociologie des élus locaux et des élus nationaux et des élus européens, on constate généralement que leurs CV ressemblent à ceux des professionnels de la politique en général, ce parti, qui se dit anti-élite et antisystème, n’a pas une stratégie de recrutement différente des autres partis politiques !

Cependant, à mesure que le RN connaît des succès électoraux, il offre des mandats à certains de ses militants qui sont des novices en politique, et ne maîtrisent pas les codes du monde politique. Le noviciat n’excuse évidemment pas les propos racistes, les casquettes nazies et l’impréparation sur de nombreux dossiers : ceux-ci sont un visage brut de certains milieux d’extrême droite qui ne peuvent pas être réduits à des « brebis galeuses », comme l’a dit Jordan Bardella.

Est-ce que ce procès peut impacter la relation du RN aux autres partis de droite et du centre ?

ED : Je ne crois pas. Marine Le Pen est mise en examen depuis 2017 avec 26 cadres du parti. Or, en 2024, Éric Ciotti a poussé pour un rapprochement avec le RN. Après les législatives Emmanuel Macron semblait préférer Jordan Bardella à un premier ministre de gauche. Récemment, Gérald Darmanin, jugeait scandaleux que Marine Le Pen puisse être rendue inéligible. Le « front républicain » contre le parti d’extrême droite a disparu. C’est un changement majeur qui place le RN en situation très favorable alors que la gauche a été exclue du champ des alliances possibles.

Si Marine Le Pen est inéligible pour la prochaine présidentielle, Jordan Bardella, qui très jeune et inexpérimenté, sera-t-il capable de reprendre le flambeau ?

ED : On ne peut pas lire seulement dans le profil d’un homme politique son potentiel succès ou échec : il faut voir comment il est perçu par les militants, mais aussi les journalistes, les autres hommes et femmes politiques de droite, les patrons… Il est eurodéputé depuis 2019, président du RN depuis 2022, c’est une carrière politique de premier plan, à 29 ans. Il n’est donc pas si inexpérimenté. Jordan Bardella tente de rajeunir l’image de l’extrême droite, il est très présent sur les réseaux sociaux et bien accueilli par les médias, qui ne le mettent pas forcément en difficulté en ne posant pas de questions sur les faux qu’il a produits, par exemple, ou en assurant la promotion de son livre en plein procès de son parti).

Un « plan Matignon » censé préparer les législatives de 2024 et conduire Jordan Bardella à la tête du gouvernement a été présenté comme un échec. Qu’en est-il ?

ED : Ce n’est pas la première fois que le FN/RN fait des « plans » de la sorte : en 1998, Jean-Marie Le Pen avait édité un « prégouvernement », et régulièrement ses dirigeants mobilisent un vocable préfigurant leur arrivée au pouvoir (parlant de leur « cabinet » par exemple, comme s’ils avaient déjà des ministères). C’est de la communication politique, visant à installer l’idée qu’ils sont aux portes du pouvoir – il incombe aux journalistes de ne pas reprendre telle quelle leur proposition.

Par ailleurs, j’ai du mal à considérer que le RN a subi un échec aux législatives. Ce parti a le plus grand nombre de députés de son histoire, ses dirigeants ont été consultés pour la formation même du gouvernement. Le RN n’a pas obtenu un poste de premier ministre, mais son poids politique n’a jamais été aussi fort dans la Ve République.

Vous avez enquêté sur le RN au parlement européen, quelles leçons en avez-vous tiré ?

ED : Les dynamiques européennes ont précédé le développement du RN en France. Le Parlement européen de Strasbourg a accueilli des députés FN-RN dès 1984. Cela a permis la formation de cadres, l’accès à des ressources financières, matérielles et symboliques, qui ont été déterminantes dans la structuration du parti.

Sur place, on voit que le RN ne s’est pas du tout « déradicalisé » sur le fond, mais qu’il a appris à jouer sur plusieurs plans. Tantôt ses députés jouent les opposants (alors même que le parti vote souvent avec la droite majoritaire et les conservateurs sur les questions sociales, l’immigration et l’agriculture). Tantôt ils choisissent le consensus pour faire passer leurs propositions dans des textes de loi. Leur présence prolongée à Bruxelles leur a aussi permis de rencontrer d’autres élus, de se familiariser avec les procédures.

La nouvelle législature, élue en juin 2024, est l’aboutissement de 40 ans de présence de l’extrême droite au sein de l’UE. Désormais les « Patriotes pour l’Europe » qui rassemble le RN et les partisans de Viktor Orban) est le troisième plus grand groupe parlementaire. La droite majoritaire (PPE) a choisi de casser la « grande alliance » historique avec les socialistes, en formant des coalitions avec l’extrême droite. C’est une rupture majeure.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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