Fabrication de bacs potagers au Bois Perrin avec Coeurs Résistants et les Cols verts en mars 2022. Crédit : Cœurs Résistants / EUR CAPS.
Comment l’EUR CAPS est-elle arrivée au Bois Perrin à l’origine ?
Nous sommes arrivé·es au Bois Perrin grâce à un partenariat avec Rennes Métropole et la ville de Rennes. Le site était en attente d’un projet urbain, et dans le cadre de leur politique d’urbanisme temporaire, ils souhaitaient que ces espaces habitables puissent accueillir des activités importantes.
Quand nous sommes arrivé·es en 2021, deux bâtiments étaient à notre disposition pour une durée initiale de deux ans, finalement prolongée à trois. Avant nous, le site accueillait déjà des familles sous OQTF (obligation de quitter le territoire français) ne pouvant pas repartir dans leur pays hébergées par le CCAS (centre communal d’action sociale), et un village alimentaire géré par l’association Coeurs résistants. C’était une première pour nous et pour la ville de Rennes : expérimenter un “campus hors les murs”.
Sur le plan pédagogique, quel bilan tirez-vous de ces trois années d’occupation ?
Du point de vue pédagogique, être dans un tel environnement – une friche avec de fortes dimensions urbaines et sociales – a profondément influencé nos pratiques. Nous avons été confrontés à des réalités concrètes, comme la précarité et l’accueil de personnes exilées, avec qui nous partagions des espaces communs. Les étudiant·es passaient chaque jour devant une file de personnes attendant l’aide alimentaire. On ne pouvait pas ne pas en tenir compte et faire cours comme d'habitude. Donc on a très souvent essayé d’intégrer ces questions dans nos contenus de formation, et de créer des interactions avec ces publics-là.
Le lieu a également permis de travailler autrement : les étudiant·es disposaient de nombreux mètres carrés (intérieurs et extérieurs) qu’ils pouvaient investir librement, de manière autonome, notamment pour des ateliers ou des projets collectifs, avec à disposition tout un matériel pédagogique. Nous avons très vite décidé de partager cet espace avec d’autres étudiant·es ou jeunes diplômé·es en art (de l’EESAB (École européenne supérieure d'art de Bretagne) ou de l’Ensab (École nationale supérieure d'architecture de Bretagne) par exemple). Cela a créé un joyeux mélange très stimulant.
Le bâtiment appelé La Cantine était aussi particulièrement inspirant de par son architecture. Il a donc fait émerger des projets pédagogiques qui plaçaient les étudiant·es à l’organisation d'événements pour le public, un point important dans le master CAPS. Cela a donné lieu à toute une programmation culturelle (performances, expositions, etc.) à destination des familles et des bénéficiaires de l’aide alimentaire, des habitant·es du quartier, des partenaires, etc. durant notre occupation.
Ancrages, une exposition des diplomées de l'EESAB (site de Rennes), novembre 2022. Crédit : EUR CAPS.
Et sur le plan de la recherche ?
Le lieu nous a également beaucoup apporté, en nous offrant la possibilité du “pas de côté”. Ce cadre hors campus nous a permis de sortir des formats classiques de la recherche universitaire, et de proposer des rencontres scientifiques sous la forme d’ateliers collectifs intégrant de la pratique artistique par exemple, avec des restitutions rapides et originales.
Les doctorant·es de CAPS en recherche-création ont également pu s’approprier les lieux et y venir en atelier ou résidence à un moment de leur processus, parce qu’il s’agissait d”un espace particulièrement riche sur les grands enjeux que portent les artistes aujourd’hui : le lien social, l’engagement politique, le rapport à la nature, etc.
Nous avons aussi organisé des résidences pour artistes-chercheur·es, comme celles de Tristan Deplus, qui a travaillé sur la maintenance et les gestes de soin dans un lieu partagé (il poursuit aujourd’hui en thèse avec CAPS), ou de Céline Ahond, qui a collecté et diffusé des récits des occupant·es du site sur un numéro spécifique. On peut ainsi écouter les considérations au 04 44 05 01 84.
École d'été CAPS 2023, un temps scientifique international. Image du workshop de théâtre avec Eva Urban-Devereux (Queen's university Belfast) et Mickael Walling (artistic director, Border Crossings). Crédit : EUR CAPS
Céline Ahond, en résidence artistique au Bois Perrin, a collecté et diffusé des récits des occupant·es du site sur un numéro spécifique. Crédit : EUR CAPS
Une dernière journée est prévue pour marquer la fin de l’occupation, le 13 décembre 2024. Que pouvez-vous nous en dire ?
Cette journée, intitulée "Le Bois Perrin gravé dans le (m)arbre", sera un moment de mémoire et de célébration. Elle vise à rassembler tous ceux et celles qui ont croisé le Bois Perrin : familles, étudiant·es, bénéficiaires, partenaires. L’objectif est de valoriser ce que ce lieu a représenté pendant trois ans.
L’événement proposera des ateliers (escalade, tissage) autour d’une allée d’arbres du site, qui restera dans le futur quartier, et d’un petit square qui a été baptisé du nom d’une militante kurde assassinée, Fidan Dogan, dite Rojbîn, dans le cadre de la politique de féminisation des noms de lieux publics de la ville de Rennes.
Où l’équipe de CAPS va-t-elle donc poser ses valises désormais ?
Nous allons déménager nos activités au campus de La Harpe dès janvier 2025, notamment les ateliers pour les étudiant·es et la matériauthèque. En plus, toujours grâce au soutien de la ville de Rennes, nous avons trouvé un nouvel espace hors campus à investir. Nous occupons le centre de loisirs de la Prévalaye une journée par semaine, dans le cadre d’une réflexion de la ville pour mettre à disposition le lieu lorsqu’il n’est pas utilisé. Là-bas, nous explorons de nouvelles questions, autour de la nature et du vivant, en lien avec les acteurs locaux. Et cette fois, sur un temps dont le terme n’est pas déterminé. Ces nouveaux espaces ouvrent donc d’autres perspectives tout aussi stimulantes que le Bois Perrin, presque en miroir.