Date de publication
29 septembre 2022
modifié le

“Une langue porte en elle un savoir immense”

À l’occasion de la 31e édition de la Fête de la science, l’Université Rennes 2 vous invite à découvrir la richesse langagière. Rencontre avec María Angélica García Hernández, doctorante de l’Équipe de Recherche Interlangue : Mémoires, Identités, Territoires (ERIMIT), qui sera présente au Village des sciences les 11 et 12 octobre 2022.

Portrait de María Angélica García Hernández
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María Angélica García Hernández.

Quel est l’objet de votre stand “Un monde avec des milliers de langues !” au Village des sciences ?

Un premier objectif est de familiariser le public avec l’énorme diversité linguistique, discuter des plus de 7000 langues parlées actuellement dans le monde ; mais aussi de faire connaître la situation très fragile de cette diversité. C’est une réalité que le sociolinguiste Louis-Jean Calvet illustre très bien avec deux chiffres clés. 5 % de ces milliers de langues sont parlées par 95 % de la population. Et 40 % de ces milliers de langues sont parlées par moins de 1000 personnes. En raison de la mondialisation croissante, il y a donc des langues très dominantes - l’anglais, le chinois, l’espagnol et l’hindi - et des langues très minoritaires qui risquent de disparaître. Le stand est l’occasion de les faire connaître, d’autant plus que cette année a lieu le lancement de la Décennie internationale pour les langues autochtones (IDIL2022-2032), un projet qui agit pour la préservation, la revitalisation et la promotion des langues autochtones.

Nous allons donc présenter deux langues originaires du Mexique : le mixtèque, la langue que j’étudie - qui est ma langue natale, et le tzeltal, étudié par Lucie Collet, étudiante du Master Études hispaniques & hispano-américaines (MEHHA) à l’Université Sorbonne-Nouvelle. Sur le stand, il y aura des affiches scientifiques qui vont illustrer la situation de chaque langue, et aussi des jeux pour les découvrir : apprendre des mots, se familiariser avec le lexique et la phonétique, etc.

Qu’est-ce que les langues autochtones ?

Ce sont des langues natives, considérées comme historiquement anciennes sur leurs territoires, qui se trouvent en situation de contact avec une langue dominante. C’est une façon linguistique de décrire les processus de colonisation. Par exemple, le mixtèque est né il y a environ 6000 ans au Mexique : 200 ans après l’indépendance du pays, l’espagnol reste pourtant la langue dominante.

Fête dans le village de Mixtepec au Mexique
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Fête dans le village de San Juan Mixtepec au Mexique.

Comment étudie-t-on ces langues ?

C’est justement le deuxième objectif du stand. Avec Lucie Collet, nous allons exposer nos expériences académiques, nos outils et nos méthodes de travail pour mener nos recherches. Nous parlerons plus spécifiquement de la façon d’étudier des langues qui n’ont pas d’écriture standardisée, les perspectives et les difficultés que cela pose. Par exemple, ma thèse porte sur la compréhension des dynamiques de l’altérité transmises grâce à la narrative contemporaine. Concrètement, je suis retournée dans mon village natal, San Juan Mixtepec, un village de montagne à plus de 3000 mètres d’altitude, et j’y ai mené des entretiens avec des personnes âgées qui avaient connu la période avant la popularisation de la voiture, époque à laquelle les habitants se déplaçaient à pied. Mon objectif est de comprendre comment se passait la rencontre avec les autres. À partir d’entretiens oraux, j’ai dû constituer un corpus écrit pour utiliser un logiciel de textométrie permettant de faire des analyses quantitatives. J’utilise des outils de la linguistique, de l’anthropologie et de l’anthropologie linguistique.

En quoi la diversité linguistique de notre planète est-elle importante ? Est-ce que ce ne serait pas plus simple de communiquer s’il n’y avait qu’une seule langue parlée dans le monde ?

Une langue unifiée n’a jamais et ne pourrait pas exister, car une langue n’est pas un système fermé, elle se transforme en fonction de l’environnement, des personnes qui la parlent, etc. Et puis quelle langue choisirait-on ? Il faut comprendre aussi que les langues autochtones ne meurent pas juste parce que les personnes qui les parlent décident d’elles-mêmes de ne plus le faire ou de ne plus les transmettre. Ces personnes abandonnent leurs langues parce qu’elles sont discriminées, qu’elles sont privées d’opportunités de travail, de mobilité, de scolarisation ; combattre la disparition des langues signifie aussi lutter contre tout cela. Enfin, les langues sont une richesse humaine, un patrimoine : une langue est plus qu’un système de signes, elle porte en elle un savoir immense.  

Pour finir, pouvez-vous nous donner quelques exemples de mots qu’il sera possible d’apprendre sur le stand ?

Nous allons apprendre, par exemple, certaines expressions ou mots imagés construits à partir de noms de parties du corps. Par exemple,  “ncha xini” signifie “jusqu”à la tête”, ce qui veut dire “jusqu’au bout”. “nta’a-nta’a” est une autre expression que je trouve jolie : on dit deux fois le mot main pour symboliser l’union de deux personnes.

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