Date de publication
20 octobre 2025
modifié le

Comment les technologies immersives de « réalité étendue » renouvellent la rééducation motrice

Si les technologies immersives, telles que les casques de réalité virtuelle ou les dispositifs de réalité augmentée, sont souvent associées aux loisirs, elles jouent aussi un rôle dans divers secteurs professionnels. Dans le domaine de la santé, leurs progrès renouvellent en particulier les protocoles de rééducation.

Réalité virtuelle, réalité augmentée, réalité mixte… Ces nouvelles technologies permettent d’immerger les utilisateurs dans des environnements numériques interactifs. Au cours des deux dernières décennies, ces technologies ont connu un très fort développement résultant des avancées combinées de l’électronique et de l’informatique.

Regroupées sous l’appellation de « réalité étendue » (« extended reality » en anglais, abrégé XR), ces technologies sont souvent associées au secteur du divertissement. Pourtant, elles sont aussi très largement utilisées dans les milieux professionnels, qu’il s’agisse de former ou d’entraîner des opérateurs ou pilotes de véhicules particulièrement quand ils se préparent à exercer dans des milieux difficiles ou dangereux, mais aussi pour développer de nouvelles approches pédagogiques à travers ce que l’on appelle les « serious games ».

Ces technologies s’invitent également dans le secteur de la santé pour aider, par exemple, les chirurgiens dans leurs interventions. Elles s’avèrent aussi très intéressantes en matière de rééducation motrice dans le but d’améliorer la récupération des patients de tous âges, atteints de maladies ou de lésions neurologiques à l’origine de limitations fonctionnelles importantes.

Amener le virtuel dans le domaine la rééducation motrice

En France, environ 140 000 personnes sont victimes chaque année d’accidents vasculaires cérébraux, 150 000 subissent un traumatisme crânien, tandis que 25 000 nouveaux cas de maladie de Parkinson et 1 500 cas de paralysie cérébrale sont diagnostiqués.

Ces problèmes majeurs de santé se traduisent pour les enfants, adolescents ou adultes concernés par des altérations de leur motricité qui peuvent affecter la posture, les déplacements locomoteurs ou encore les actions des membres supérieurs. La rééducation est alors essentielle, car elle favorise la restauration de tout ou partie de ces fonctions motrices. Elle vient stimuler les mécanismes de plasticité cérébrale qui permettent des récupérations fonctionnelles parfois très importantes.

Ainsi, lorsque le cerveau subit certains dommages, les structures cérébrales ont un fort potentiel de réorganisation et de restauration des fonctions qui ont pu être altérées. Ce potentiel s’exprime d’autant plus quand la rééducation démarre tôt, de manière adaptée et progressive.

Dans un tel contexte, et afin d’offrir aux patients les meilleures chances de récupération, les thérapeutes ont pu développer une grande gamme de protocoles de rééducation. Les techniques conventionnelles employées dans la rééducation motrice présentent cependant parfois certaines limites ou contraintes pour les patients. Ainsi, la longueur et la répétitivité des séances peuvent par exemple provoquer fatigue, douleur et démotivation.

À cela s’ajoute une autre difficulté : ces méthodes proposent généralement des exercices de motricité assez éloignés des besoins du quotidien. Cet éloignement entre la rééducation et les interactions requises dans les situations de tous les jours peut expliquer certaines difficultés de transposition et de maintien des améliorations obtenues lors des protocoles de rééducation.

Les recherches menées pour mettre au point des méthodes complémentaires ou alternatives aux techniques de rééducation existantes ont identifié l’usage des technologies de réalité étendue (XR) comme l’une des alternatives les plus intéressantes.

Ces technologies permettent de proposer aux patients des protocoles de soin avec des conditions contrôlées, progressives et attractives. Alors que les méthodes traditionnelles sont souvent fondées sur l’exécution de mouvements répétitifs et décontextualisés, ces technologies permettent de solliciter des actions finalisées, c’est-à-dire orientées vers un but concret. L’efficacité de la rééducation est de ce fait augmentée, et l’on constate une amélioration de la transférabilité des bénéfices vers les activités du quotidien.

Des premiers essais fondés sur des jeux commerciaux

Les premiers essais pour introduire les dispositifs numériques interactifs dans les centres de rééducation ont été réalisés essentiellement avec des systèmes de jeux vidéo disponibles dans le commerce, tels que les consoles de jeu PlayStation et caméra EyeToy, Xbox et caméra Kinect ou Nintendo Wii et caméra IR Pix Art. Ces systèmes de jeux nécessitent de produire des actions motrices plus ou moins complexes qui sont captées par les caméras et retranscrites sous différentes formes dans le jeu (déplacement d’un personnage, pilotage d’un véhicule, lancement de balles, etc.).

Dans la plupart des cas, l’usage de ces jeux vidéo s’est révélé bénéfique pour la rééducation. En effet, des études ont montré que ces bénéfices étaient liés aux interactions motrices requises dans un cadre ludique permettant de maintenir dans la durée la motivation des patients.

Toutefois, les possibilités d’adaptation de ces jeux aux capacités des patients sont souvent très limitées dans la mesure où ils n’ont pas été conçus dans ce but. Il en est de même pour leur intégration dans des protocoles de rééducation quantifiés, car ils ne permettent pas d’effectuer le suivi des patients et d’identifier finement la nature des progrès réalisés. Pour ces raisons, de nouvelles propositions de jeux spécifiques à la rééducation motrice ont émergé, faisant appel aux diverses technologies de la réalité étendue.

Réalité étendue, virtuelle, augmentée ou mixte : de quoi parle-t-on ?

Le concept de réalité étendue recouvre plusieurs technologies : réalité virtuelle, réalité mixte et réalité augmentée.

La réalité virtuelle plonge entièrement l’utilisateur dans un monde numérique, par l’intermédiaire de casques dotés de deux mini-écrans (un pour chaque œil). Ceux-ci permettent de percevoir l’environnement numérique en stéréo, et donc en 3D. Les casques sont également équipés de capteurs permettant de détecter les mouvements de la tête pour une mise à jour en « temps réel » des images projetées, ce qui permet l’exploration du monde virtuel dans toutes les directions. Les interactions avec ces environnements numériques sont rendues possibles par l’utilisation d’interfaces connectées telles que des manettes de contrôle, des marqueurs placés sur le corps ou encore des gants d’interaction.

La réalité mixte, quant à elle, projette des espaces numériques dans un environnement réel bien visible. Les systèmes les plus immersifs permettent des projections sur des écrans multiples situés tout autour de la personne immergée (y compris au-dessus et en dessous d’elle).

Voir la vidéo (ENE) CAVE Cave Automatic Virtual Environment

Enfin, la réalité augmentée ajoute des éléments numériques dans le monde réel. Cette technologie peut utiliser des lunettes permettant la surimpression d’éléments numériques dans la scène visuelle réelle. Elle peut aussi recourir à une caméra qui filme l’environnement et le projette sur un écran, où sont ajoutés les éléments numériques. Cela est généralement réalisé dans un casque, tel que ceux utilisés pour les applications de réalité virtuelle, mais cela peut aussi se faire via un téléphone ou une tablette numérique.

Des jeux en réalité virtuelle spécifiques à la rééducation

S’inspirant des jeux vidéo, des dispositifs de réalité virtuelle ont récemment été développés avec l’appui de thérapeutes pour s’adapter spécifiquement au contexte de la rééducation et aux besoins des patients. Ces dispositifs intègrent par exemple des principes de progressivité : ils font varier la difficulté ou l’intensité des exercices, leur fréquence ou leur répétition pour atteindre au mieux les objectifs thérapeutiques.

L’un des atouts de la réalité virtuelle est qu’elle favorise l’implication dans la rééducation, en raison du « sentiment de présence » qu’elle génère, grâce à l’utilisation de casques immersifs.

Dans ces jeux de rééducation, la finalité des actions est prépondérante. Elle permet de donner à la rééducation davantage de sens, et une attractivité nouvelle. Le patient se rééduque progressivement, par des mouvements ayant un but précis : en atteignant des objets, en les utilisant, en adoptant des postures spécifiques ou encore en se déplaçant dans un parcours guidé. Cette finalisation des actions a pour but de favoriser des transferts plus rapides vers les activités du quotidien (par exemple cuisiner, ranger une pièce, jardiner, etc.). Les progrès réalisés sont quantifiés en matière d’amplitude, de fluidité, de vitesse et de précision des mouvements réalisés.

Le projet FarmaDay illustre bien cette approche. Cette application de neuroréhabilitation est destinée à rééduquer les membres supérieurs à travers des activités de la vie quotidienne en réalité virtuelle gamifiée avec l’utilisation de casques immersifs. Ce système place le patient dans un environnement virtuel reproduisant une ferme. Les patients peuvent l’explorer en y effectuant diverses tâches : s’occuper des animaux, cueillir des fruits ou des légumes, se laver les mains, verser une boisson ou encore jouer du piano.

Dépasser certaines craintes dues aux pathologies

Chez certains patients, les limitations fonctionnelles et la douleur peuvent être très intériorisées. Cela se traduit par une diminution de l’activité et de l’implication dans l’action, par crainte d’avoir mal, de se blesser à nouveau ou de ne pas y arriver. Cette « kinésiophobie » peut freiner la rééducation et contribuer à renforcer les limitations fonctionnelles.

Un des avantages de la réalité virtuelle totalement immersive est d’impliquer fortement les patients dans leur rééducation. Équipés d’un casque immersif, ils ne voient pas leur propre corps, mais seulement des représentations virtuelles de celui-ci (avatars), ce qui peut les aider à dépasser certaines de leurs craintes.

Autre intérêt de la rééducation en réalité virtuelle : la possibilité de créer des exercices dans lesquels les mouvements à produire et l’atteinte des buts recherchés sont guidés par différentes modalités sensorielles (visuelles, sonores, tactiles). Certains objets peuvent par exemple être mis en surbrillance quand le mouvement d’atteinte est réussi. Des guides ou des feed-back de trajectoires de mouvement, de direction, de rythme, peuvent être affichés, ainsi que des codes couleurs, des sons, des vibrations, ou encore des indications ou des commentaires sur les performances à réaliser.

À titre d’exemple, le projet RV-Reeduc réalisé au sein du laboratoire GREYC] de l’Université de Caen Normandie, a abouti au développement de jeux de poursuite et d’atteinte de cibles en mouvement, dans un environnement virtuel 3D avec casque immersif (voir vidéo présentée ci-dessous dans le cadre du projet Neo-Reeduc).

Proposés dans des centres de rééducation pour des enfants et adolescents atteints de paralysie cérébrale, ces jeux de rééducation ont permis d’améliorer les amplitudes, la fluidité et la précision des mouvements des jeunes patients, après un programme de trois séances hebdomadaires sur une durée d’un mois. Les effets bénéfiques se sont avérés durables, puisqu’ils étaient encore observés trois mois après la fin de la rééducation.

Des alternatives pour dépasser certaines limites de la réalité virtuelle

Si la réalité virtuelle a de nombreux avantages pour la rééducation motrice, elle présente aussi certains inconvénients. Ainsi, certains patients peuvent ressentir un inconfort lié au poids du casque ou à la sensation d’isolement qu’il induit. De plus, certains d’entre eux peuvent ressentir une appréhension, un déséquilibre ou un malaise proche du mal des transports ou cinétose, en particulier lorsque des déplacements sont requis.

Ce type de « cybermalaise » est le plus souvent dû à l’amplification des mouvements réalisés du réel en virtuel. Cette amplification des déplacements crée un décalage entre les perceptions corporelles et les perceptions visuelles. Il peut aussi être lié au décalage, même très faible, du « temps réel » dans la mise à jour des images visuelles, par rapport aux signaux de mouvements perçus par le corps. Ces phénomènes, appelés « incongruences » ou « conflits sensoriels », peuvent provoquer des symptômes désagréables tels que des maux de tête, des vertiges, voire des nausées et des vomissements.

L’immersion dans un monde virtuel doit donc se faire de manière progressive. Elle n’est pas forcément appropriée à tous les patients, notamment ceux qui présentent des troubles perceptifs. Pour pallier ces inconvénients, d’autres projets ont choisi de s’appuyer sur la réalité mixte, qui fusionne les mondes physique et numérique.

C’est le cas du projet Neo-Reeduc, piloté lui aussi par le laboratoire GREYC. Les jeux de rééducation créés en partenariat avec la société NeoXperiences se situent en réalité mixte. Les images sont projetées sur de grands murs interactifs, et les mouvements des utilisateurs, capturés grâce à un système vidéo (« motion capture »), permettent d’interagir avec les applications. Ainsi, plus besoin d’équiper les patients de casques, manettes de contrôles ou autres dispositifs corporels.

Voir la vidéo de présentation Neo-reeduc

Une telle immersion en réalité mixte rend aussi possible l’implication de plusieurs utilisateurs, ce qui favorise les échanges et renforce les aspects ludiques et conviviaux des exercices, créant un environnement susceptible d’augmenter la motivation des patients à suivre la rééducation.

Perspectives de développements futurs

Les protocoles faisant appel aux nouvelles technologies de réalité étendue (XR) permettent de stimuler de manière plus précise, plus douce et plus progressive les fonctions motrices ayant subi des atteintes. Elles rendent la rééducation plus ludique et davantage finalisée, tout en renforçant la motivation des patients et leurs interactions sociales.

Ce faisant, ces technologies contribuent à diversifier et augmenter le volume de rééducation, en augmentant ainsi le potentiel de plasticité cérébrale. Cela permet d’élargir les répertoires des thérapeutes dans leurs protocoles de rééducation motrice pour une meilleure récupération fonctionnelle.

Des recherches complémentaires associant patients, thérapeutes, chercheurs et développeurs sont cependant encore nécessaires afin de mesurer plus finement l’efficacité de ces dispositifs de rééducation innovants. Il reste en effet à identifier plus précisément les facteurs pouvant générer des effets bénéfiques et ceux pouvant causer des effets indésirables. Enfin, il reste à explorer la possibilité d’utiliser des interfaces de plus petite dimension (tablettes graphiques et smartphones) qui pourraient permettre à terme la poursuite de la rééducation à domicile.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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