Crédit : Anne-Sophie Soudoplatoff
Selon Robert Harrison, qui érige la forêt en matrice sociale comme symbolique de la culture en Occident, « la civilisation occidentale a défriché son espace au cœur des forêts ». Il précise, à propos de l’Antiquité : « [l]a ténébreuse lisière des bois marquait les limites de ses cultures, les frontières de ses cités, les bornes de son domaine institutionnel ; et au-delà, l’extravagance de son imagination ». Si de l’Antiquité à l’Anthropocène, des premiers défrichements à la sixième extinction, l’histoire de l’humanité est indéfectiblement liée à celle de l’exploration et de l’exploitation des forêts, il s’agit là d’une histoire « remplie d’énigmes et de paradoxes » (Harrison) car la forêt, en tension perpétuelle entre le réel et l’imaginaire, fait place au sacré comme au profane, au danger comme à la découverte, à la perdition comme à l’apprentissage, au merveilleux comme au monstrueux… Lieu de toutes les contradictions qui, à ce titre notamment, pourrait être qualifié selon les critères foucaldiens d’« hétérotopie », espace non seulement duel mais éminemment pluriel, la forêt se prête donc à maintes réappropriations littéraires, visuelles et culturelles, tant du côté d’approches poétiques que politisées (notamment dans le cadre de la crise écologique actuelle). On renvoie ici aux différents travaux récents sur la forêt (Abécédaire de la forêt, sous la direction de Pascale Auraix-Jonchière et al. ; Nouveaux récits sur la forêt, sous la direction de Pascale Auraix-Jonchière et Frédéric Calas), ainsi qu’aux approches écocritiques et zoopoétiques de Pierre Schoentjes et Anne Simon.
De ces réflexions inaugurales, il apparaît clairement que la forêt a le double pouvoir de délimiter (frontière réelle séparant espace civilisé et monde sauvage) et de dé-limiter (lisière ou seuil vers le libre déploiement des imaginaires). Foris, l’extérieur, l’en-dehors, et forestare, mettre en dehors ou bannir, attestent par l’étymologie de la fonction première des forêts qui « tracent la marge provinciale, littérale et imaginaire, de la civilisation occidentale » (Harrison). Frontière par excellence, la forêt tient cependant bien moins, dans la plupart de ses figurations, de la ligne infranchissable que de la lisière en tant que parangon de l’espace liminal, où s’ériger contre signifie aussi au contact de. Cette double journée d’étude se concentre donc sur la liminalité inhérente à la forêt, et toutes ses ramifications possibles dans les diverses représentations littéraires, cinématographiques ou télévisuelles d’un espace toujours ouvert à la reconceptualisation.
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Organisation : Gaëlle Debeaux (CELLAM / Rennes 2), Diane Gagneret (IHRIM / ENS Lyon)