Dans la France féodale, la violence prend des formes diverses, mais pas nécessairement anarchiques. Elle a souvent ses codes et ses limites, qui la canalisent et favorisent la conclusion d’accords de paix. Elle concerne toutes les classes sociales, mais elle est plus dangereuse quand il s’agit des chevaliers, c’est-à-dire d’hommes nobles, seigneurs et vassaux de châteaux, adonnés aux armes et attachés à l’honneur : leurs querelles risquent d’impliquer leurs sujets et de faire d’importants dégâts. Même dans ce cas cependant, une lecture attentive des sources et une réflexion sur elles, aidée des suggestions de l’anthropologie de la vengeance, révèle une véritable culture de la paix, féodale et chrétienne.
Héritée du haut moyen âge et commune à bien des sociétés anciennes, la vendetta (échange de meurtres) est susceptible, ici comme souvent, de s’apaiser par une composition, c’est-à-dire par le versement d’un « prix de la paix », comme pour racheter le sang. Mais comment des comtes, barons et vassaux très à cheval sur leur honneur peuvent-ils renoncer à une vengeance pour de l’argent, sans perdre la face ? C’est ce que l’on tentera d’apercevoir à travers des récits de miracles ou de dons aux monastères.
Spécifique au temps des principautés et des châteaux (à partir du Xe siècle), la guerre féodale entre seigneurs et vassaux de châteaux a pour enjeu des terres et des biens, et ne paraît pas très sanglante : cependant, faite de coups de main, de raids de pillages et de sièges, elle inflige aux paysans des pertes en bétail et des destructions. Et leurs seigneurs, leurs princes mêmes, ont une certaine tendance à faire la paix en se pardonnant mutuellement les torts faits aux paysans de l’autre ! Les paysans de l’an 1000 et du XIe siècle n’ont-ils aucun moyen de résister à cette oppression ? L’Église peut-elle leur venir en aide, en empêchant toute guerre féodale ? C’est l’enjeu de ce que l’on a appelé le « mouvement de la paix de Dieu ».
Le Cours public 2026
Le thème du cours public 2026 est "Des États de paix"
Coordination Patrick Harismendy, Professeur émérite d’histoire contemporaine
Université Rennes 2 / CRBC
Pour péremptoire qu’elle pouvait être, la fermeture des Portes de la Guerre, à Rome, ne préjugeait pas d’un retour à la stasis, mot grec conjoint à la physique et à la physiologie. Comme, désormais, est révoqué le triptyque « paix, crise, guerre », au profit de « compétition, contestation, affrontement » mieux à même de rendre compte d’instabilités et d’imprévisibilités parcourant l’environnement fragmenté et fortement concurrentiel devenu le nôtre, ainsi que le suggère le général Thierry Burkhard, alors que l’image gentillette du village mondial, postulant l’entraide entre voisins, n’est plus de saison. De même, l’Histoire des Relations internationales, faite d’en haut et par en haut a dû s’ouvrir aux travaux interrogeant successivement après-guerres, post-guerres, sorties de guerre marquant la dilatation du temps à travers les processus de transition. L’interrogation de complexités allant des reconstructions aux retours des prisonniers, aux procès de culpabilités et de mémoires aux conséquences économiques ou culturelles durables est centrale, tout comme le changement plus ou moins radical des horizons politiques en résulte bien souvent. Mais, pour quantifiables que peuvent être les coûts de la paix, en passant par migrations forcées, abandons territoriaux, tribut au vainqueur ou perte pure et simple de souveraineté, ils travaillent aussi sociétés et individus en profondeur avec les cortèges d’humiliation, d’intolérance, de ressentiment ou de traumas, avérés ou mythologisés propres à réembraser les conflits ; y compris par les venins communautaristes ou nationalistes. La paix n’est donc ni une catégorie, ni un invariant, mais reflète, selon les époques, les possibles de vivre ensemble selon des règles ne pouvant ignorer les psychés des uns et des autres. La difficulté, pour l’historien, est de trouver ou maintenir la bonne distance entre la multiplication d’outils d’analyse à sa disposition et la conservation de la contemporanéité propre à la période examinée. Et la nôtre est, aussi, celle d’une maison qui brûle…