Comment vous est venue l’idée du projet Termin’eau ?
Dans certains domaines spécialisés, il n’y a pas ou très peu de ressources fiables en ligne, et, pour traduire un texte, il est alors nécessaire d’avoir recours à des informatrices ou informateurs du domaine pour obtenir des informations linguistiques. Dans un article, ma consœur Isabelle Collombat constate d’ailleurs que plus les traductrices et traducteurs sont aguerris, plus elles et ils ont recours à cette méthode. Cela faisait plusieurs années que je réfléchissais à la meilleure façon d’enseigner cela aux élèves de licence 3 LEA en parcours “Traduction et Communication Multilingue”.
En 2019, j’ai été invité par mon collègue Jean Quirion de l’Université d’Ottawa à participer à son cours Termino à vélo ; je m’y suis rendu avec le soutien du Service des relations internationales (SRI). Les étudiantes et étudiants partent à vélo de Montréal rencontrer des spécialistes de la terminologie et de la traduction dans différents milieux (Radio Canada, Deloitte, agences de traduction et de communication, indépendants, etc.). C’est un cours qu’il donne aussi à distance, mais il a constaté que les personnes qui l’ont suivi en ligne produisent de moins bons résultats. Donc j’ai voulu proposer un projet similaire, qui associe l’interrogation d’informatrices et d’informateurs pour traduire un texte spécialisé à la pratique des activités concernées. Le cours a pu être conçu grâce à un congé pour projet pédagogique (CPP) accordé par l'Université Rennes 2.
Comment s’est déroulée cette première édition de Termin’eau ?
Le cours a eu lieu durant une semaine à la rentrée universitaire 2022, avant le début des travaux dirigés (il n’y a pas de cours magistraux dans ce parcours). Le premier jour, nous avons constitué des équipes et fait une course d'orientation. Nous avions, avec Maryline Berthomé et Asli Ghebantani, ingénieures pédagogiques au Service universitaire de pédagogie, placé des enveloppes, avec des questions sur les métiers de la traduction et de la rédaction spécialisée, ainsi que sur les activités prévues et leur terminologie, dans des endroits stratégiques du campus Villejean : au service universitaire d'information et d'orientation, insertion professionnelle (SUIO-IP), à la bibliothèque universitaire, etc. C’était une bonne occasion de découvrir ces lieux utiles pour des étudiantes et étudiants qui arrivent parfois d’autres formations directement en L3. Le lendemain, nous avons pratiqué l’aviron, le kayak, le kayak-polo et le canoë. Le reste de la semaine a été consacré à des entretiens avec une traductrice spécialisée dans la voile, et avec des spécialistes de ces activités : monitrices et moniteurs, et un sportif de haut niveau, Mathis Soudi, qui a participé aux Jeux olympiques de Tokyo en slalom kayak. Au début de la semaine, j’avais donné aux étudiantes et étudiants des textes techniques en anglais, espagnol, allemand et italien (guide d’achat de kayak, notices, règlements sportifs, etc.) ; interroger les professionnel·les et pratiquer les activités leur ont servi à établir la terminologie, c'est-à-dire à préparer le dictionnaire des textes en vue de leur traduction vers le français.
Pourquoi avoir choisi des activités nautiques ?
Comme je l’ai évoqué, l’exercice est de travailler une terminologie qui n’existe pas en ligne ou qui n’y est pas forcément fiable, et c’est le cas pour les activités nautiques puisqu’il existe surtout des documents amateurs. Mais il s’agissait aussi d’adapter le cours de Jean Quirion à notre contexte breton. Termin’eau est l’occasion de créer ou de renforcer des liens avec des entreprises régionales, dans un secteur spécialisé source de débouchés auquel la communauté enseignante et étudiante ne pense pas forcément, et qui ne pensent pas forcément non plus que nous formons des spécialistes avec des compétences susceptibles de les intéresser, qu’elles pourront un jour recruter pour traduire ou gérer leur documentation.
L’autre plus-value de ce type d’expérience, c’est le partage de temps informels, qui permettent de se connaître et d’établir une relation de confiance entre une personne enseignante et les personnes enseignées. Je crois à l’importance de cette relation pour progresser dans l’apprentissage.
Quel est le bilan de cette première expérience ?
Il est très positif sur plusieurs points. Termin’eau a fait naître une dynamique de groupe, une bonne ambiance, des échanges ; c’est ce que les étudiantes et étudiants en retiennent surtout. Des étudiantes arrivées en L3 ont en outre découvert et compris l’outil du concordancier qui est utilisé dans plusieurs autres cours de traduction spécialisée. De plus, les entretiens leur ont donné confiance en leur capacité à dialoguer avec des spécialistes, à s’attaquer à un domaine totalement inconnu. Miranda Joubioux, la traductrice, leur a fourni aussi beaucoup d’informations sur son expérience et son exercice du métier.
Ce qui reste à améliorer, ce serait l'utilisation de l’outil (un tableau terminologique), l’exploitation des entretiens.
Quelle est la suite du projet ?
Nous allons le reconduire l’année prochaine, avec la même formule pour bien caler le processus pédagogique. En parallèle, je me mets en quête de sponsors ou d'entreprises partantes pour jouer le rôle d’informatrices. L’objectif reste en effet, à la rentrée 2024, de partir cinq jours à la voile car c’est un secteur très technologique et dense en terminologie. Les contreparties du parrainage sont à décider ensemble. Il serait intéressant, par exemple, qu’à l’issue du projet, les étudiantes et étudiants fassent un retour à ces structures pour évoquer les compétences acquises.