Visite de la prison de Cartier libre.
Pouvez-vous nous décrire le projet lauréat ?
Ce projet, qui associe une compagnie de théâtre (La Morsure), une association de chercheur·es et d’enseignant·es (Cartier Libre), un laboratoire de l’Université Rennes 2 (Tempora) et Rennes Métropole, s’insère dans un contexte de réflexion politique et urbanistique sur le devenir des prisons bretonnes (Rennes, Brest, Vannes, Saint-Brieuc), en lien avec la modernisation du parc pénitentiaire. Il a commencé à Rennes, où la prison Jacques-Cartier (prison fermée en 2010, rachetée par Rennes Métropole en 2021) fait actuellement l’objet d’une démarche d’urbanisme participatif orchestrée par la Métropole rennaise. Partant de ce contexte local, le projet vise à co-construire une recherche-création croisant la démarche artistique de création théâtrale et les enjeux scientifiques d’une recherche en sciences sociales sur l’histoire et les mémoires de la prison. L’objectif de cette recherche-création est l’élaboration d’une performance artistique qui permettra de faire émerger des paroles collectives et singulières sur la prison et l’enfermement, tout en nourrissant la réflexion sur le devenir des anciennes prisons bretonnes. Cette performance sera réalisée au terme de plusieurs ateliers d’improvisation mobilisant des expériences personnelles en lien avec l’enfermement. Le groupe de participant·es sera composé d’anciens membres du personnel pénitentiaire et judiciaire, d’anciens détenus, d’intervenant·es en détention, de proches de détenus, de chercheur·es travaillant sur l’enfermement. Ce spectacle tournera par la suite en Bretagne, dans les villes où la question du devenir de la prison suscite un questionnement sur l’enfermement carcéral.
Le financement assuré par Tissage consiste à rémunérer le travail préparatoire de co-conception des ateliers (2024) pour un démarrage effectif en 2025.
Pouvez-vous nous décrire en quelques lignes les différents partenaires impliqués dans le projet et leur activité au sein du projet ?
- Citoyen·nes
La société civile est principalement représentée par la Compagnie La Morsure (Christophe Le Cheviller et Marie Parent). Cependant d’autres citoyen·es seront intégré·es dans le projet : l’association Cartier Libre, la ligue de l’enseignement (notamment pour organiser la participation des détenu·es aux ateliers) et les différent·es participant·es des ateliers de théâtre et d’improvisation théâtrale.
- Chercheur·es
Le laboratoire Tempora (Rennes 2) sera le laboratoire de rattachement du projet. Il est représenté dans le projet par Fanny Bugnon (membre titulaire du laboratoire), Gaïd Andro et Fanny Le Bonhomme (membres associées du laboratoire et membres fondatrices de l’association Cartier Libre). LLa Maison des sciences de l’Homme (MSH) en Bretagne est également associée au projet, via un financement du réseau national des sciences de l'Homme accordé au projet PriMem. Une approche interdisciplinaire et participative de recherche au cœur d’un projet de reconversion [prison Jacques-Cartier, Rennes] » / financement de 26 000 € pour 2024/2025).
- Décideur·ses
Rennes Métropole (par l’intermédiaire de la chargée du projet de reconversion, Valentine Roy).
La démarche de coconstruction s’inscrit dans le processus de concertation citoyenne lancée par Rennes Métropole au sujet du devenir de la prison Jacques-Cartier. Il vise à nourrir cette démarche de concertation citoyenne, en permettant l’engagement d’une pluralité d’acteurs.
Réunion de travail entre Cartier libre et La Morsure.
Quelles sont les différentes étapes du projet, et où en êtes-vous aujourd'hui ?
Le projet se structure en quatre phases:
- Préparation des ateliers et co-construction du cadre de recherche (2024) + recrutement des participants (financé par tissage) + réponse à l’appel à projet de la région Bretagne “Recherche et société” pour un financement plus large du projet
- Animation des ateliers d’improvisation théâtrale (février-juin 2025)
- Représentation théâtrale à Rennes, Brest et Saint Brieuc (juin-septembre 2025)
- Exploitation des données et co-conception d’un livrable “hybride” (2026)
Nous en sommes actuellement à la phase 1.
Le projet TISSAGE a pour objectif de favoriser les rencontres entre les citoyen·nes, les chercheur·ses et les décideur·ses. Quel est l'impact souhaité du projet pour la société civile ?
Le projet aspire à collaborer aux grandes transitions du territoire tout en favorisant la participation à l’espace public démocratique comme espace de partage des expériences individuelles et de débat sur ce qui fonde le commun. C’est ainsi, en définissant la prison comme un commun mal connu, et en donnant toute leur place aux paroles et aux récits pluriels de tous ceux et celles qui l’ont connu (ancien·nes surveillant·es, ancien·nes détenu·es, familles de détenu·es, etc.) que le projet défend une conception renouvelée du dialogue entre sciences et société par l’intermédiation du théâtre. En pensant la circulation des savoirs, la co-construction et la co-habitation des récits et la mise en scène à destination du public, ce sont ainsi les enjeux sociaux et démocratiques des processus de recherche et l’expérience commune et hybride qu’ils déploient que nous souhaitons inscrire, à l’échelle régionale, dans les défis de l’inclusion et de la cohésion sociale.
En quoi ce projet est-il innovant ?
Le projet s’inscrit dans la logique des transitions sociales et citoyennes et notamment dans l’objectif de développer le dialogue entre sciences et société. Dans un contexte de débats sur les enjeux sociaux démocratiques, sur la sécurité et les politiques pénales et plus précisément sur la reconversion d’usage des anciens lieux de détention, ce projet se pense comme une proposition de dialogue et de réflexivité partagée entre les citoyens, les artistes et les chercheur·es en sciences sociales sur la question des prisons et de l’enfermement. Le cadre scientifique et la méthodologie défendue empruntent aux recherches sur le processus créatif, à la recherche-création et aux outils de l’éducation populaire. Ils se positionnent très clairement dans le champ des recherches participatives en sciences humaines et sociales et aspirent à engager une réflexion pionnière dans ce domaine en associant la co-construction de nouveaux savoirs en histoire (notamment sur l’histoire des prisons bretonnes) et la diffusion de la culture scientifique par la mise en scène théâtrale du processus de recherche. C’est en ce sens que le projet se veut innovant et en rupture avec la logique “extrativiste” de l’histoire orale en repensant à nouveaux frais la posture des chercheur.se.s et la participation citoyenne à la recherche (scientifique et créative). Enfin, ce projet favorise le dialogue et la collaboration entre le tissu associatif, le monde de la recherche et les citoyen·nes à l’échelle rennaise et régionale par la composition des ateliers de théâtre mais aussi plus largement par la tournée du spectacle et des ateliers auprès d’un vaste public dans plusieurs villes bretonnes elles-mêmes confrontées à la fermeture de leurs établissements pénitentiaires. Il s’agit alors de mobiliser des outils pratiques et théoriques pour faire de la question carcérale non plus un tabou collectif mais une opportunité de tisser le lien social par un propos complexe et accessible, polyphonique et objectivé, à l’échelle du territoire breton.