Comment est né le projet lauréat de l’appel TISSAGE ?
À l’origine, il y a un dispositif rennais appelé MY Ker, co-fondé en 2022 par Geneviève Quélennec, qui prend en charge des jeunes entre 15 et 30 ans ayant des troubles de l’humeur (anxiété, bipolarité, dépression, etc.). C’est un lieu de vie situé à Rennes Beaulieu, où une quinzaine de jeunes aux problématiques diverses sur le plan scolaire et présentant des besoins particuliers sont accueilli·es durant 10 semaines (2 jours par semaine), et où interviennent des professionnel·les de santé, du social, de l'orientation et de l'insertion professionnelle pour les soutenir dans différentes démarches et reconstruire un projet.
Une équipe d’enseignant·es-chercheur·ses de Rennes 2 de différentes disciplines a donc été réunie, Dans le cadre, tout d’abord du Service Universitaire à la Collectivité de l’université Rennes 2, puis de Tissage de l’Université de Rennes, afin de trouver des questions de recherche relatives aux jeunes accompagnés et au dispositif MY Ker.
De gauche à droite : Pierre Bonny, Stéphanie Quirino Chaves, Geneviève Quélennec, Agnès Lacroix, Cécilia Querro (coordonnatrice de la plateforme de recherches participatives de Tissage) et Iris Bouchonnet (élue chargée de la jeunesse à la ville de Rennes).
Quel est votre rôle dans le projet et en quoi consiste votre recherche ?
J’interviens en tant que docteure en sciences de l’éducation intéressée par la diversité des élèves, les parcours singuliers et la dimension émancipatrice de l’école. J’ai été enseignante spécialisée et conseillère pédagogique sur les champs de l’adaptation et du handicap, et j’ai pu moi-même faire le constat, empirique au départ, que l’école rencontre des obstacles pour répondre aux besoins de tous les élèves. Plusieurs textes internationaux (déclaration d’Inchéon par exemple) et nationaux (lois de 2013 et 2019) évoquent pourtant la scolarisation inclusive, un système scolaire qui doit prendre en charge tou·te·s les élèves dans leur diversité et doit s’adapter à chacun·e. Mais concrètement, ça ne fonctionne pas toujours. Il existe des dispositifs institutionnels (le “Zéro sans solution” par exemple), avec des aménagements d’études par exemple, mais uniquement pour les jeunes dont le handicap est reconnu - et encore faut-il que les familles connaissent ces mesures et aient les ressources pour les solliciter. Pour les autres, le système est en difficulté. Les parcours scolaires de ces derniers sont également peu étudiés. Je vais donc observer les parcours de ces jeunes présentant des troubles de l’humeur accompagn·és par MY Ker, et analyser les points de rupture : tenter de comprendre à quels moments ils et elles ont été déscolarisé·es et pourquoi.
Comment allez-vous procéder pour étudier les parcours de ces jeunes ?
J’ai rencontré une première cohorte de jeunes en hiver, avec Geneviève Quélennec, pour parler de leur vécu scolaire problématique. J’ai choisi d’établir un questionnaire en ligne, à destination des jeunes accueilli·es par MY Ker en juin prochain, visant à analyser leurs parcours scolaires et de soins, avec 65 questions. Par exemple : vers quelles personnes au sein de l’école ont-ils et elles pu se tourner, ont-ils et elles obtenu des diplômes, etc. J’aimerais également m’entretenir avec les familles de ces jeunes pour mettre en tension les différents vécus. Je vais aussi m’entretenir avec Geneviève Quélennec au sujet du dispositif et de son implication, et peut-être avec la psychologue qui intervient auprès des jeunes. Un travail potentiellement mené par ma collègue Nathalie Brillant Rannou autour des récits biographiques des jeunes pourrait également venir nourrir mes données.
De gauche à droite : Stéphanie Quirino Chaves, Leszek Brogowski (ancien vice-président de l'université Rennes 2 Culture, science et société) et Geneviève Quélennec, lors d'une des rencontres avec les jeunes de MY Ker.
Après analyse du questionnaire et des entretiens, j’espère être en mesure d’identifier des éléments caractéristiques des parcours scolaires des jeunes, par exemple les obstacles qu’ils et elles ont rencontrés, d’émettre des hypothèses relatives à ces obstacles et proposer des leviers en réponses aux besoins des jeunes. Bien sûr, le projet de recherche est encore en construction en termes de méthodologie, notamment en ce qui concerne la collaboration entre les différent·es enseignant·es-chercheur·ses. Une réunion est prévue au mois de juin pour faire le point sur nos recherches respectives et se coordonner. L’idéal serait de mettre en place un outil, une plateforme collaborative pour que chacun·e ait accès aux données des autres.
Le projet TISSAGE a pour objectif de favoriser les rencontres entre les citoyen·nes, les chercheur·ses et les décideur·ses. Comment votre projet s’inscrit-il dans cette démarche ?
Mes questions et mes recherches sont articulées à celles des autres membres du projet, que ce soient les chercheur·ses (notamment avec Nathalie) ou les acteur·rices eux·elles-mêmes. Il s’agit bien d'une co-recherche, nous travaillons tous et toutes ensemble. Les jeunes ont été, par exemple, totalement associé·es à la construction de mon questionnaire. Je leur ai présenté une version lors d’un entretien collectif pour avoir leur avis et savoir si tout était compréhensible, et je l’ai remanié en fonction de leurs retours. J’ai notamment reformulé une question portant sur le financement des soins, jugée trop intrusive. Ils et elles ont bien compris que ce questionnaire allait servir à d’autres jeunes et ont fait plein de propositions. Plusieurs ont aussi exprimé qu’ils et elles auraient aimé avoir un autre vécu scolaire : dans l’imaginaire collectif, l’école reste un passage important et en avoir été exclu·e est douloureux. J’ai donc ajouté la question : “Aimeriez-vous retourner à l’école ?”. Lors de ce temps d’échange en présence notamment de Geneviève Quélennec et de la psychologue du dispositif, des éléments qui n’auraient pas forcément été évoqués autrement l’ont été. Le processus de recherche en lui-même vient donc aussi nourrir la compréhension.
Et puis c’est un projet qui me tient à cœur, qui est porté par des convictions personnelles. Il me semble important que la recherche décrive et analyse des phénomènes éducatifs en lien avec la diversité des publics, des terrains et des pratiques en visant l’utilité sociale de ces connaissances. S’intéresser à MY Ker s’inscrit dans cette dynamique et j’espère que certains de nos résultats pourront être mis au service de ce projet notamment auprès des institutions scolaires. C’est une perspective ambitieuse, mais au moins un premier pas.
Pierre Bonny (RPpsy) et Agnès Lacroix (LP3C)
« Nous avons répondu à l'appel à projet des allocations de recherche doctorale (ARED) financée conjointement par la région Bretagne et par l'Université. Le sujet de la thèse est : "Les nouvelles formes de dépression et troubles de l’humeur chez les adolescents et jeunes adultes. Une recherche-action dans un dispositif d’accueil". Si un·e candidat·e est retenu·e, le doctorat sera d'une durée de trois ans (à partir de septembre 2023). Le terrain de la recherche est MY Ker. Il s’agit d’une recherche exploratoire, qualitative, semi-directive à non-directive (avec comme paradigme la psychopathologie clinique et psychanalytique - Freud, Lacan). La recherche s'intéressera notamment au savoir qu'ont les jeunes accueillis sur leur dépression, et à leurs solutions subjectives pour limiter ou solutionner leur souffrance. L'impact de la crise climatique sur la subjectivité de ces jeunes (éco-anxiété) sera aussi pris en compte, ainsi que les différences en termes de genre. Il s’agit aussi d’une recherche action collaborative, dans la mesure où elle implique la participation des jeunes et de la structure, notamment dans la discussion entre l’Université et MY Ker (professionnel·les et jeunes). La recherche s’intègre dans l’axe 3 du dispositif TISSAGE (« co-construire des recherches participatives impliquant les décideurs, les citoyens et les chercheurs »). Le projet s’inscrit également dans l’axe transversal de la région, “Transitions sociales et citoyennes”, en particulier sur le volet “Renforcer et renouveler le dialogue entre science et société”. »
Nathalie Brillant Rannou (CELLAM)
« Spécialiste de poésie et de didactique de la littérature, je mise sur des ateliers d’écriture créative pour recueillir des données complémentaires et engager les jeunes volontaires dans un processus de réévaluation de leur rapport personnel à l’écrit. Comment un usage créatif et sensible du langage, ouvert à l'auto-fiction, au jeu et aux symboles, peut abonder le travail mené à MY Ker ? Il s’agit moins de fournir des ateliers d’écriture clé en main que d’imaginer avec les jeunes eux-mêmes, et en complémentarité avec les offres déjà en place dans la structure, des conditions pour l’écriture. Ces ateliers pensés sur un modèle de micro recherche-création seraient motivés, pour les participant·es, par la perspective de l’édition des textes sur un support à définir ensemble. Les membres de l’équipe pluridisciplinaire des chercheur·ses ainsi que les professionnel·les de l’association seront invité·es à lire ou écouter les textes et à contribuer à la dimension réflexive de ce volet de la recherche. »