
Pourquoi avoir choisi de s’intéresser à Molière non pas en tant qu’auteur, mais en tant qu’acteur ?
Ce colloque s’inscrit dans le cadre des célébrations autour du 400e anniversaire de sa naissance. Tout un cycle d'événements s’est intéressé à de nombreux aspects autour de Molière ; j’avais envie, en tant que spécialiste du sujet, de revenir à son être vivant - sa voix, son corps - et à sa personnalité artistique. Nous avons donc choisi de mettre l’accent sur l’art de Molière comme acteur comique, car c’était de cette façon qu’il était connu au XVIIe siècle : s’il a débuté sa carrière par des rôles de jeune premier, c’est en bouffon qu’il a ébloui le public parisien de son époque. Assez injustement, sa troupe et lui ont été cantonnés au registre comique alors que ses compagnons de scène étaient capables d’endosser des rôles tragiques, notamment sa femme, Armande Béjart, une actrice touchante qui avait une grande compétence comique mais a aussi été très remarquée par son style de jeu sérieux. L’un des aspects du colloque sera justement de cerner le style des acteurs et des actrices, qui était propre à chacun et chacune : comment, à partir d’un matériau commun, se sculpte une personnalité d’acteur ou d’actrice.
Je co-organise ce colloque avec Brigitte Prost, professeure d’histoire et d’esthétique des arts du spectacle à l'Université de Franche-Comté (Besançon), dans le but de penser le phénomène dans sa dimension internationale mais aussi transéculaire, du Moyen-âge à nos jours.
Une autre ambition du colloque est donc de raconter l’histoire du théâtre à travers les acteurs et actrices. C’est une approche bien mieux admise en Italie, et c’est pour cette raison que nous nous sommes associées à notre collègue de Rennes 2, Giovanna Sparacello, maîtresse de conférences en littérature italienne et membre du CELLAM. En France, nous sommes davantage traditionnellement attaché·e·s à la figure de l’auteur·rice, et plus récemment à celle du metteur ou de la metteuse en scène. Je dirais que nous sommes un peu encombré·e·s par la figure de l’acteur·rice, comme si l’histoire du spectacle avait voulu mettre de côté les vedettes – mais aussi sans doute car le travail du jeu est un art difficile à retracer.
Quelles sont justement les sources utilisées pour étudier l’art et les techniques de la création scénique ?
Il existe des portraits de Molière en acteur comique, essentiellement des gravures sur lesquelles on peut voir son attitude, son costume, sa grimace. Nous avons même une description partielle de Molière en scène par un de ses contemporains, qui va être analysée par un jeune chercheur qui s’en est servi pour son interprétation du rôle de Sganarelle dans Le Cocu imaginaire. Mais surtout, nous avons les textes, que l’on peut utiliser pour comprendre le type de personnage, les ressorts que le comédien ou la comédienne peut mobiliser pour faire rire. Nous pouvons aussi nous appuyer sur des témoignages, plus récents, et des listes de rôles qui, si on les compare, révèlent des phénomènes récurrents, repris de pièces en pièces : des situations comiques, des gestes qui nous indiquent quelles étaient les ressources mobilisées par les acteurs et actrices. Une autre source extraordinaire dont on dispose : les partitions de musique, chansons sur mesure et gags musicaux qui fonctionnent presque comme des enregistrements de la voix des interprètes.
Est-ce qu’il y a une spécificité du jeu des acteurs et actrices comiques par rapport à d’autres registres, et en quoi son étude peut-elle éclairer notre rapport actuel à la production de spectacles ?
L'hypothèse, c’est que cette puissance créatrice du comédien ou de la comédienne fonctionne aussi dans le jeu sérieux, mais qu’elle plus facile à décrire et reconnaître, plus mobilisée dans des spectacles comiques.
Considérer la production actuelle de spectacle sous l’angle de la créativité des comédiens et comédiennes permet de les envisager comme des auteurs et autrices, dont les techniques de travail relèvent d’un savoir-faire : comique est un métier. Et nous nous intéressons justement à ce paradoxe : comment contrôler, maîtriser quelque chose qui semble être de l’ordre de l’explosion libératoire du côté du public ? Nous allons, lors du colloque, nous intéresser à des performances comme le stand-up par exemple, des formes de jeu comique presque non-écrites ; ou encore à la manière dont des textes plus “nobles” comme ceux de Samuel Beckett et Bernard-Marie Koltès ont été mis en branle par la rencontre avec des interprètes comiques.
Dans le cadre de ce colloque plusieurs projections et représentations sont proposées : pouvez-vous nous en dire plus ?
Comment prétendre parler sérieusement du comique ? Nous avons d’abord décidé de convoquer les artistes et de leur donner la parole. Une série d’entretiens aura lieu à l’Opéra de Rennes le 19 novembre : Christophe Crapez, Olivier-Martin Salvan et Jos Houben nous parleront de la façon dont ils interprètent, transmettent la technique comique, de la manière dont ils se définissent. Dans le spectacle L’art du rire, le 17 novembre au Tambour, Houben réalise d’ailleurs ce tour de force d’analyser le rire de manière très rationnelle, très sérieuse, tout en le produisant à coup sûr ! Le 16 novembre avec la complicité du ciné-club du département des arts du spectacle, nous projetterons deux grands films comiques conçus autour de leurs acteurs, Three Ages de Buster Keaton et Edward F. Kline (1923) et The Party de Blake Edwards (1968) avec Peter Sellers.
Retrouvez le programme complet du colloque international “Molière et les acteurs comiques: art et techniques de la création scénique”, du 17 au 19 novembre 2022.