
Rodrigo Adolfo García de la Sienra, lors de son séjour à l'Université Rennes 2 en octobre 2023, campus Villejean.
Comment est née votre collaboration avec ERIMIT ?
Rodrigo Adolfo Gardia de la Sienra. J’ai rencontré Claire Sourp du laboratoire ERIMIT il y a une dizaine d'années lors d’un colloque à Strasbourg sur les figures du pouvoir dans la littérature d’Amérique latine. On a eu la chance d’être côte à côte dans le train du retour pour Paris et on a longuement discuté : c’est ainsi que j’ai entendu parler de la chaire des Amériques.
Pouvez-vous dire quelques mots sur votre parcours de chercheur ?
R. A. G. S. Après des études littéraires à l’Université nationale du Mexique (UNAM), j’ai obtenu une bourse du gouvernement mexicain pour faire mon DEA à Montpellier au sein de l’équipe d’Edmond Cros. Je travaillais alors sur un manuscrit du tribunal de l’Inquisition de la Nouvelle Espagne (Mexique). Dans les archives, j’étais tombé sur le dossier très intéressant d’un prisonnier allemand accusé d’être hérétique. Il écrivait ses rêves, ses visions, mais il était si prolifique qu’en manque d’encre et de papier, il s’est mis à écrire avec une paille et du chocolat sur ses chemises. J’ai également fait ma thèse en France, sur un romancier mexicain, José Revueltas, qui lui aussi avait été incarcéré. J’ai obtenu mon diplôme de doctorat à Paris IV. Je suis en poste au Mexique depuis 18 ans et depuis plus de 15 ans à l’Université de Veracruz.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
R. A. G. S. En ce moment, je travaille sur les problèmes de représentation associés au roman en Amérique hispanique. Le premier roman d’Amérique hispanique à proprement parler, El Periquillo Sarniento de José Joaquín Fernández de Lizardi, est écrit juste après l’écroulement du régime colonial. La représentation est une notion d’Ancien Régime qui associe la production symbolique à l’exercice du pouvoir. Avec l’avènement du genre romanesque, la production symbolique est redistribuée. Les nouvelles nations, les États naissants hispano-américains, vont s’approprier le genre roman comme un genre représentatif de la nationalité. C'est dans cet espace que les jeunes nations se cherchent.
Sur quoi porteront les cours que vous donnerez aux étudiant·es de Rennes 2 ?
R. A. G. S. Lors de mes interventions, je vais parler d’El Periquillo Sarniento, mais aussi de l’absence de roman pendant la période coloniale. D’autres genres existaient, comme les chroniques et les relations, ces rapports rédigés pour le Roi par les conquistadores comme Hernán Cortés. Ces récits peuvent être lus de façon romanesque, même si leur but était au contraire d’asseoir et d’établir une vérité historique. Ils s’inscrivaient dans tout un appareil administratif et juridique destiné à les rendre canoniques. Malgré ce cadre bureaucratique, ces récits ont pourtant une dimension romanesque : je pense par exemple aux récits de naufrage ou d’expéditions ratées que l’on peut considérer comme un sous-genre. Je parlerai aussi du roman de la révolution mexicaine et du rapport entre pouvoir et volonté d’établir une vérité historique.
Pourquoi avoir candidaté à la chaire des Amériques ? En quoi cette expérience vient-elle enrichir vos travaux ?
R. A. G. S. Je ne pense pas de la même façon lorsque je suis en France et lorsque je suis au Mexique. Le contact linguistique est très important. J’ai rédigé ma thèse en français parce que je voulais m’approprier la langue. Cela m’a permis d’accéder à une autre façon d’écrire et de penser. Je retrouve ici des repères intellectuels qui me sont chers. C’est intéressant de se placer dans un autre environnement, de discuter avec de nouvelles personnes et de faire cours à des étudiants qui ont d’autres références. Je vais devoir adapter mes enseignements, leur proposer une bibliographie et une approche différentes. C’est un défi stimulant !