Sous la direction de M. Pierre-Henry FRANGNE
Titre de la thèse : La stase et la durée. Figures du temps dans l'oeuvre symboliste de Gustave Moreau, Odilon Redon et Fernand Khnopff
Résumé : Si la fin du XIXème siècle fut marquée par une expérience de désacralisation du temps, d’accélération de l’histoire et d’interrogations théoriques sur la nature du temps, elle fut en outre une période de crise de la notion d’expérience, corollaire, entre autres, de l’invention moderne du concept de présent comme valeur en soi – concept toutefois déprécié parmi les artistes idéalistes, car jugé étroit et spirituellement appauvri. A l’encontre de l’instantanéité revendiquée par les impressionnistes, l’esthétique symboliste proposa une peinture atemporelle et antihistoriciste, empreinte d’onirisme et de musicalité. L’inactualité apparente des œuvres s'accordait avec une conception anhistorique de l’artiste. En réactualisant le mythe romantique du génie isolé, les symbolistes valorisèrent le retrait solitaire dans l’univers intérieur, concevant l’œuvre d’art comme une émanation de leur personne ; s’il existe bien une homologie ontologique entre l’artiste moderne et son œuvre, le symbolisme, de par son primat de la singularité artistique et son idéal schopenhauerien d’un ascétisme esthétique, se fonda sur la négation manifeste de l’histoire au profit de la rêverie privée contemplative, en pensant la fuite hors du temps historique (s’érigeant en thème principal des œuvres) comme corollaire de la crise du sujet moderne.
Cette thèse s’intéresse à la façon dont une certaine peinture symboliste, en particulier celle de Moreau, Redon et Khnopff, aborde la question complexe de la temporalité, enchevêtrant des concepts tels la stase (fixité des figures, immobilisme) et la durée (intérieure), en vue d’une nouvelle appréhension de l’image conçue à la fois comme archive, éminemment subjective, d’intensités mnésiques, et comme cristallisation d’un espace-temps imaginaire au sein duquel une portée métaphysique comble le manque d’expérience, et la complexité psychique se trouve restaurée à travers l’instauration du temps ontologique, plurivoque de l’image. Les œuvres picturales étudiées suggèrent des « pathologies » du temps historique/objectif, lesquelles semblent mieux traduire les ondes de l’univers psychique. A travers la suspension de l’action et son éternisation dans la durée intérieure du symbole iconique, les peintres en question, chacun à sa manière propre, tentent de thésauriser le temps et de préserver une certaine religiosité de l’expérience subjective, en amplifiant le présent à travers des synthèses inédites de traces mnésiques hétérogènes. En imbriquant des fragments d’un passé imaginaire, du rêve et de la mémoire, l’image finit par devenir un spectacle de belles ruines, voire un monument de deuil impossible. Enfin, il s’agit de penser aussi le débordement de l’art hors des tableaux, notamment par une réflexion sur la maison et le musée, donc sur l’intérieur des artistes, en tant qu’œuvres totales, projets d’autofiction et de performance de l’intimité en conformité avec cet esthétisme radical qu’est le symbolisme.
La soutenance est publique