Madame Laëtitia JODEAU-BELLE présente ses travaux en vue de l'obtention du diplôme d'Habilitation à Diriger des Recherches en Psychologie sous la direction de monsieur Michel Grollier, Professeur en psychopathologie clinique à l'université Rennes 2.
Titre des travaux:
Fonction du symptôme et logiques subjectives : Invention, création, nouage, écriture
Résumé:
Ce travail d’HDR constitue un travail de mise en perspective des recherches. La restitution de cette trajectoire suit ainsi une logique plus qu’une chronologie sur les recherches menées depuis la thèse et dans la perspective de celles à venir.
C’est d’abord dans le champ de la clinique de l’infantile que ma recherche a trouvé ses premières investigations. C’est l’objet de ma première partie qui revient sur la découverte de textes freudiens qui lui sont consacrés et qui m’ont amené, en suivant ses pas, à m’interroger précisément sur la fonction du symptôme de phobie infantile dans ses articulations avec l’angoisse et le sexuel. C’est la rencontre avec l’orientation psychanalytique et l’enseignement freudien qu’il m’a ainsi été possible de dégager le symptôme de son approche déficitaire. En effet, lui reconnaître son intime adhérence avec l’inconscient et la pulsion permet de saisir que le symptôme ne peut se supprimer. Il constitue ce que le sujet a de plus singulier. Le temps de l’infantile est ainsi un temps de constitution du symptôme corrélativement à la production du sujet de l’inconscient comme tel. C’est un temps logique et pas seulement chronologique, pouvons-nous en déduire avec Freud qui l’a bien démontré avec son texte « Les trois essais pour une théorie sur la sexualité » (1905) et, dans son prolongement avec le cas princeps de « phobie infantile du petit Hans » (1909). La survenue de la phobie va de pair avec l’expérience inédite du surgissement de l’angoisse de castration. La phobie, comme tout symptôme, est une expérience de corps, c’est un « événement de corps » qui vient dire comment le corps a été percuté par le choc du signifiant, en jeu dans le traumatisme.
Ma seconde partie porte principalement sur ce que j’ai nommé « la clinique du refus » et qui trouve ses variations dans l’hystérie, l’anorexie, et plus radicalement dans le cas des adolescents nommés « hikikomoris » qui refusent la vie extérieure. Il est ici nécessaire de nous intéresser à la fonction que prennent les objets contemporains, appelés par Lacan « lathouses » qui sont des « ventouses » à la libido mais qui constituent, pour autant, des modes de traitement inventifs. Encore une fois s’y retrouve cette dimension paradoxale. La clinique du juvénile est une clinique du désir au temps de la puberté. Le désir y apparaît en suspens, arrêté voire forclos et rend nécessaires des bricolages symptomatiques dont les objets font partie : inventions d’une langue pour dire le réel du corps, inventions de nouvelles modalités de connexion à l’Autre, de localisation de la pulsion, par des objets hors-corps qui font circuit, branchement, avec le corps. Autant d’inventions que de sujets, au temps de l’Autre qui n’existe pas et de la pluralisation des Noms-du-Père, qui produisent des modes de jouissance épars et déréglés rendant nécessaires des arrangements symptomatiques singuliers. Dans cette seconde partie, la recherche introduit davantage la dimension du corps, notamment avec le travail mené sur la clinique de l’anorexie au moment de la puberté. L’invention revient aussi à l’acte du clinicien dans le travail de cure et la manœuvre transférentielle lorsque le symptôme ravage et détruit tout élan vital. Le clinicien doit y mettre du corps par la contingence de la surprise et de l’invention signifiante. Dans une troisième partie, l’invention symptomatique se déplace dans le champ de la création artistique. Ici le travail sublimatoire de l’artiste est au premier plan. Néanmoins l’invention n’est pas la création1. En effet, « si l’invention relève d’une création à partir de matériaux existants, la création, quant à elle, met l’accent sur l’invention ex nihilo, à partir de rien ». Ainsi la création peut-elle être créationniste tandis que le symptôme, par et dans l’expérience analytique, est inventif car il s’appuie sur le matériel produit dans la cure qui conduit à un
nouvel usage de la jouissance, plus vivable et satisfaisant qu’au départ. L’invention a dès lors plutôt affaire avec le bricolage, avec le savoir-faire, qui tend vers le sinthome. D’où la question qui se pose pour chaque artiste étudié : « A-t-il pu, ou non, faire de son nom d’artiste un sinthome ? » Lacan nous a mis sur cette voie du sinthome avec l’étude de l’œuvre joycienne en montrant que Joyce, avec son art, a su nouer les registres du réel, du symbolique et de l’imaginaire par un quatrième rond qui répare le nœud défait, son ego — Joyce le sinthome. Chaque artiste, en tant que parlêtre, est au travail de sa jouissance. Sa création peut tenir fonction d’ego et nommer son être. En ceci, Lacan interroge la création comme sinthome plutôt que comme une formation de l’inconscient ; et en tant que telle est ininterprétable. C’est sur cette clinique « continuiste », sur cette clinique des nouages et du sinthome que Jacques-Alain Miller s’est appuyé pour inventer le terme de « psychose ordinaire ». Il n’y a pas d’universalisation des nouages sinthomatiques mais des modes de nouages à chaque fois inédits et singuliers permettant de faire tenir la réalité psychique. Chaque artiste nous démontre comment il a pu faire de son art son sinthome en lui donnant une forme sublimée. Chacune de ces trois parties s’écrit ainsi à partir de l’expérience clinique et analytique, terreau d’une recherche toujours en mouvement et à venir. La recherche en psychopathologie et clinique qui s’oriente de la psychanalyse inclut un point de manque dans le savoir autour duquel cela ne cesse pas de s’écrire. Ainsi en conclusion de chacune d’elles, j’ai ouvert sur des perspectives de recherches nouvelles et pouvant donner lieu à des publications et des élaborations collectives au sein de l’Équipe de Psychopathologie et Clinique.
1 Miller J.-A., « L’invention psychotique », Quarto 80-81, Janvier 2004, p. 4
La soutenance est publique.