Jeudi 4 avril

Colloque "Pouvoir et contrôle de l'intime en contexte autoritaire aux XXe et XXIe siècles"

Le laboratoire ERIMIT organise, les 4 et 5 avril, le colloque "Pouvoir et contrôle de l'intime en contexte autoritaire aux XXe et XXIe siècles" à l’Université Rennes 2, dans l'amphi Renan (B8).

Affiche du colloque
Contenu sous forme de paragraphes

Alimentée par une actualité politique brûlante en Europe, aux États-Unis, en Iran, en Chine ou en Russie, où la tentation autoritaire est palpable, où les libertés publiques et les droits ne cessent de reculer ou, du moins, d’être remis en cause, la recherche sur les régimes autoritaires voire « totalitaires » et dictatoriaux a connu ces dernières années un renouvellement historiographique important.  

Le colloque organisé par l’ERIMIT souhaite s’inscrire dans cette nouvelle dynamique pour éclairer les spécificités de ces types de systèmes politiques, historiques et actuels, à l’aune de l’intime, thème quinquennal du laboratoire de recherche. L’autoritarisme politique, défini comme prééminence de l’autorité dans l’État, peut exister en démocratie, mais il tend à restreindre l’État de droit, à limiter le pluralisme et à concentrer le pouvoir et peut, par conséquent, être considéré comme une antichambre à la dictature ou au « totalitarisme » qui en sont des gradations : la pratique du pouvoir y est plus arbitraire encore, plus absolue et répressive. Tous les régimes autoritaires ne sont pas dictatoriaux, en revanche toutes les dictatures ou autocraties sont autoritaires. Au cours des années 2010, de nombreux États, notamment la Russie de Poutine ou la Turquie d’Erdogan, dans lesquels il existait encore quelques garde-fous démocratiques, se sont, au gré de réformes arbitraires et liberticides, transformés en autocraties. Ces exemples nous invitent à questionner la « modernité » de ces régimes à l’aune de l’histoire de l’autoritarisme aux XXe et XXIe siècles.

Les dictatures du XXe siècle, en Europe comme en Amérique latine, se sont caractérisées par une concentration du pouvoir, par l’écrasante prépondérance de la raison d’État, par une surveillance omniprésente, une répression brutale de toute contestation ou de minorités : le camp de travail de Tefía était par exemple destiné aux hommes homosexuels durant la dictature franquiste. Les dictatures ont aussi la particularité, surtout dans leur aspiration totalitaire comme dans l’Allemagne nazie ou l’URSS stalinienne, de contrôler tous les domaines de la vie sociale, de s’immiscer dans la sphère privée et les familles, jusque dans l’intimité des personnes dont ces régimes tentent de maîtriser et d’influencer tous les pans de la vie, que ce soit par la propagande, l’endoctrinement et la coercition (Arendt, 1982).

Ces modes de pouvoir sont souvent régis par des pratiques socio-culturelles (répression de minorités sexuelles, ethniques ou confessionnelles) et des normes de genre (hétéronormativité) qui sont notamment soumises à l’impératif nataliste : le contrôle des naissances sous ses diverses formes – l’interdiction de l’avortement sous Vichy, la stérilisation forcée des femmes indigènes au Pérou sous le régime d’Alberto Fujimori, la politique de l’enfant unique dans la Chine de Deng Xiaoping ou la rhétorique pronataliste dans l’Espagne de Franco – est un trait distinctif de régimes dictatoriaux. Ainsi l’intime, considéré comme espace intérieur, secret et caché de chaque individu, comme élément structurant de son identité (Potel, 2008 et Tisseron 2011), peut se diluer dans un système panoptique qui tente par tous les moyens, que ce soit par des instances de socialisation et de contrôle (la police, l’école, l’armée, les organisations de masse…) ou par la propagande et une culture politique spécifique (commémorations, rites et symboles), d’exercer un pouvoir absolu sur le corps et l’esprit des individus, de modeler, de nier ou d’abolir leur subjectivité. Cependant, l’intime quand il est prisonnier du politique, peut aussi se révéler être une source de création et, dans certains cas, de contestation voire de résistance. L’intime, s’il s’exprime à travers l’écriture (journaux intimes, témoignages, fiction, etc.), à travers les Arts (musique, cinéma, peinture, sculpture, photographie, littérature…) ou un engagement politique clandestin (dissidence en URSS ou en RDA par exemple), peut se ménager des espaces de liberté. L’intime est un enjeu politique majeur en contexte autoritaire, car il contient une force de contestation féconde, la parole intime étant une source de création et de résistance qui met en échec toute velléité de contrôle des corps et des consciences (Foessel, 2008).

Le colloque souhaite éclairer les évolutions et transformations de ces mécanismes et enjeux en interrogeant l’emprise que peut avoir le politique, dans les régimes autocratiques des XXe et XXIe siècles, sur l’intime et, à partir de là, questionner « l’agency », la puissance d’agir des individus face à la toute-puissance, à la mainmise totale de l’État sur leur vie.

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