Pouvez-vous vous présenter ?
Marguerite Bornhauser. Je suis une photographe plasticienne, mais je suis également photographe de commande. Je travaille pour la presse, dans la mode, la publicité... Je suis donc une photographe assez pluridisciplinaire, dans le sens où je fais des expositions tout en répondant à des commandes. J'ai fait des études de littérature à la Sorbonne, puis un master de journalisme avant d’intégrer l'École nationale supérieure de la photographie à Arles. Dès ma sortie de l'école, j'ai commencé à travailler en tant que photographe/artiste, à exposer dans des lieux culturels, d'art contemporain et de photographie, et à publier des livres. En parallèle, j'ai commencé à travailler pour la presse, en tant que photographe, reporter, portratiste. J'ai aussi développé un volet plus commercial avec des collaborations dans la publicité et dans la mode.
Portrait de Marguerite Bornhauser © Nicolas Serve
Qu'est-ce qui vous a donné envie de devenir photographe ?
M.B. Cela remonte à mon lien avec la littérature. À la base, je voulais être journaliste. Pendant un stage au Monde, j'écrivais des articles sur les expositions que j’allais voir, je voulais être critique d'art. J'ai toujours eu un attrait pour l'art de toute manière, mais je préférais, au départ, utiliser les mots. Ensuite, j'ai commencé à écrire un mémoire sur le photojournalisme, c'était pendant le Printemps arabe. J'analysais les images publiées dans différents journaux, de Valeurs actuelles à Marianne, en termes de politique, en observant par exemple la représentation des femmes en Tunisie pendant la révolution. Une couverture de Marianne montrait une jeune femme sur les épaules de quelqu’un en disant "révolution", tandis que Valeurs actuelles affichait une femme en burqa avec le titre “La menace terroriste". Cela m'a fascinée, car la photographie, tout comme les mots, permet d'exprimer un point de vue, de se positionner et en plus d'apporter une esthétique particulière à chacun. Dès le début, je crois que ce qui m'a intéressée dans la photographie, c’est la question du point de vue et de la véracité. Je pense que la neutralité n'existe pas, et c’est ce qui m'intéresse : questionner l’image, la façon dont elle nous informe et comment on la montre. J'aime bien travailler à perturber le spectateur, le pousser à se demander si mes photos sont retouchées ou non, et à interroger les gens sur la question de l’image.
Photos de l'exposition "Étoile Rétine" © Léa Montézin, Université Rennes 2
Pouvez-vous décrire votre démarche photographique ? Quel est le fil conducteur de votre travail ?
M.B. Je dirais que le fil conducteur de mon travail, c’est mon regard. Avec le temps, j'ai appris à montrer ma manière de voir les choses. Mon travail est souvent lié à la couleur, à la matière, aux formes, avec parfois une tendance à l'abstraction. Il y a un aspect très plastique dans ma photographie. Mon approche est plutôt sensible, poétique, et pas trop documentaire.
Avez-vous toujours utilisé la photographie comme support de création ?
M.B. Je suis photographe depuis le début, mais je pense que je suis une photographe un peu particulière. En ce moment, par exemple, je fais un projet où je peins sur des photos. J'ai un autre projet où j'ai travaillé la sculpture, et encore un autre où j'ai peint sur des pierres. Je mélange toujours la photographie avec d'autres médiums : parfois la musique, parfois la vidéo, parfois de la sculpture. La photographie reste le fil conducteur, mais je souhaite la sortir de son cadre classique de reproduction du réel et l’emmener dans d'autres mondes, notamment pour créer de la fiction. Parce que la photographie c’est un art assez nouveau et on l’a toujours utilisé de manière assez classique jusqu’à il y a très peu de temps. J’ai envie de le sortir de cet aspect là, de partir du réel pour raconter des histoires.
Photos de l'exposition "Étoile Rétine" © Léa Montézin, Université Rennes 2
Dans vos œuvres, la nature, les couleurs et les matières semblent prendre vie. Comment vous est venue l'idée de jouer avec ces éléments ?
M.B. Je pense que c’est beaucoup lié à l’instinct. Au départ, je me suis questionnée sur la démarche du photographe qui part à l’autre bout du monde pour capturer des images fortes, comme les marginaux de la société. Puis, je me suis dit : pourquoi ne pas parler de ce qui m'entoure au quotidien ? J’ai d'ailleurs écrit mon mémoire sur la poésie du quotidien. Mon objectif est de sublimer, magnifier ce qui est autour de moi, sous nos yeux. J’essaye de poser un regard bienveillant, poétique sur ce quotidien et toutes ces choses que l’on voit tous les jours. Par exemple, un projet qui est dans l’expo que j'ai réalisé pendant le confinement, consistait à voyager par la photographie sans quitter mon appartement. J’ai utilisé des objets du quotidien, comme une passoire pour créer des reflets sur le visage de ma colocataire, et cela donnait des effets presque cosmiques. J’aime capturer les petits détails, ceux que les gens ne remarquent pas toujours, et les magnifier. L’idée c’est d'essayer de faire attention aux choses, aux détails. C’est pour ça que je dis que dans mon travail une forme de poésie. C’est l’attention aux petits détails, aux choses autour de nous.
À quoi ressemble concrètement le quotidien d'une photographe ?
M.B. Il n'y a pas vraiment de quotidien type, c'est très varié. Hier et aujourd'hui ne se ressemblent pas du tout. En tout cas, j'ai un atelier dans lequel je travaille. Par exemple, hier, j’ai fait un portrait pour Libération de Clara Morgane. Donc là, c’est être innovant, avoir des nouvelles idées en très peu de temps pour la presse. Ensuite, j’ai visité un lieu d’exposition pour un futur projet. Ce matin, j'ai donné une interview et j’ai travaillé avec mon assistante. Le quotidien change constamment entre la presse, la mode, et les expositions. Mais ce qui est sûr, c’est que je passe plus de temps à écrire des emails qu'à prendre des photos !
Photos de l'exposition "Étoile Rétine" © Léa Montézin, Université Rennes 2
Quels conseils donneriez-vous aux étudiant·es souhaitant se professionnaliser dans ce domaine ?
M.B. C’est difficile de donner un conseil universel, car le métier de photographe est très vaste. Il n'y a pas de parcours type. J’ai même pas envie de leur donner le conseil de faire une école, parce que plein de photographes n'ont pas fait d’école photo et qui sont super et ils réussissent tout aussi bien. Il n’y a pas une seule voie. Le seul conseil que je donnerais, c’est de beaucoup beaucoup travailler.
Pouvez-vous nous parler d'un projet photographique sur lequel vous travaillez actuellement ?
M.B. Je prépare un projet pour Paris Photos en novembre, intitulé We are melting. L’idée m'est venue en regardant les informations. Je me suis intéressée au traitement médiatique et cartographique du dérèglement climatique par la couleur. Je travaille presque exclusivement en argentique, et pour ce projet, j'ai scanné les débuts et fins de pellicules, je me suis dis que c’était assez drôle pour le jeu de mot fin du monde, fin de rouleau. Ces débuts et fins de négatifs sont complètement abstraits, cela crée des dégradés de couleurs. J'ai ensuite peint sur les cadres avec de la peinture vitrail, qui est translucide, et qui laisse apparaître les images en dessous. Cela donne une impression de fonte, donc ça coule, d’où le titre We are melting. Ce projet est à mi-chemin entre photographie et peinture, ce qui amène les spectateurs à se questionner sur la nature même de l'œuvre. En fait, mon travail n’est jamais complètement engagé dans une voie mais ça pose des questions. J’ai envie que la personne qui regarde mon travail s’interroge.
Propos recueillis par Léa Montezin (Service culturel - Université Rennes 2) en octobre 2024.