Date de publication
25 février 2024
modifié le

Mandy Barker | Une « soupe plastique » s'abat sur le campus

Découvrez en plein air sur le campus Mazier de Saint-Brieuc le travail photographique de Mandy Barker sur la pollution marine. Une exposition visible jusqu'au 8 juillet 2024.

Portrait de Mandy Barker
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Portrait de Mandy Barker © Knut Koivisto

La série photographique Océan plastique de Mandy Barker présente l’accumulation de masse des débris plastiques dans nos mers et nos océans. Le but de ce travail est de nouer un dialogue avec le ou la spectateur·rice, d’éveiller sa conscience en créant une contradiction émotionnelle entre l’attraction esthétique initiale et l’horreur de ce qui est montré.

 

Primées et exposées dans plus de 50 pays, vos photographies ont notamment été publiées dans The National Geographic Magazine, The TIME Magazine ou encore The British Journal of Photography. Pouvez-vous nous parler de votre parcours en tant qu’artiste ?

Mandy Barker. Mon intérêt pour la pollution plastique marine a démarré en 2008 lorsque j’ai commencé à réaliser que sur tout le littoral, des résidus naturels tels que du bois flotté ou encore des coquillages, commençaient à être remplacés par des déchets humains, surtout plastiques. Pas uniquement des objets à usages uniques mais aussi des appareils ménagers tels que des congélateurs, des télévisions, des ordinateurs, etc. qui échouaient sur la plage de la réserve naturelle locale où j’habite. Je me suis posée la question de savoir comment ils étaient arrivés là. C'est l'impact environnemental qui m'a inquiétée et c'est ce qui a d'abord stimulé mon travail, pour me faire prendre conscience de ma propre expérience. En même temps, je m'étais inscrite pour faire un Master en photographie et je pensais que c'était le moyen idéal pour partager cette problématique avec un public plus large.

L’exposition Océan plastique a demandé un important travail d’inventaire, de sélection et de composition des débris récoltés sur les plages du monde entier. Comment avez-vous procédé à ces collectes et quel a été votre processus créatif ? Pourquoi ces classements ?

M. B. En premier lieu, je m’informe sur ce sujet en lisant des publications de recherches académiques ainsi qu’en assistant à des colloques internationaux. Travailler directement avec les experts scientifiques qui sont en train d’étudier le problème sur le terrain est un élément clé dans mon processus de recherche. Cela constitue une source d’inspiration pour mon travail, qu’il s’agisse d’une espèce ou d’un environnement particulier qui est affecté, ou encore d’un type de plastique ou d’objet qui a des effets néfastes sur la biodiversité. J’approfondis ma réflexion en me servant de carnets à dessin, ce qui me permet d’organiser mes idées.

Je récolte ensuite le plastique marin sur les plages et dans les océans à travers le monde, parfois sur une plage en particulier ainsi qu’avec des objets similaires ou de même couleur en fonction du projet en cours. De retour dans mon studio, je photographie le plastique en éparpillant les morceaux au hasard sur un fond noir, créant parfois plusieurs couches qui sont ensuite superposées les unes sur les autres. Les images ont pour but d’être visuellement attrayantes afin d’amener le ou la spectateur·ice à regarder de plus près les objets représentés. L’effet de contradiction entre ce qu’il·elle voit et le choc de la légende qu’il·elle lit, produit à ce moment-là la prise de conscience et délivre un message. Les images sélectionnées pour cette exposition ont été choisies pour refléter les différents types d’objets trouvés dans la mer mais également pour rendre compte de l’aspect global des lieux où ils ont été récupérés.

Soupe plastique
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Soup, 500+ © Mandy Barker

Vous avez participé à plusieurs expéditions scientifiques notamment avec l’ONG Greenpeace et l’UNESCO. Les images que vous réalisez sont toujours basées sur des faits scientifiques. Que pensez-vous de cette collaboration entre arts et sciences ?

M. B. Mon travail se doit d’être précis s’il veut être crédible. Il est primordial pour l’intégrité de mon travail que je ne déforme pas l’information dans l’unique but de produire une image intéressante et, qu’en retour, je rende la confiance que m’ont accordée les scientifiques qui ont soutenu mon travail. Bien que l’esthétique soit importante, mon travail a davantage à voir avec le fait de mettre en avant une réalité et les faits sur la manière dont nous affectons notre planète et modifions notre environnement.

La science n’est pas quelque chose de subjectif car elle est factuelle et ne laisse pas de place à l’esthétique ou à l’émotion. Selon cette perspective, le travail de l’artiste et du scientifique est différent dans l’approche mais nous visons un même but. Mon travail rend compte visuellement du problème en présentant des faits réels et en déclenchant l’alerte et une prise de conscience chez des personnes qui, peut-être, n’auraient pas eu l’opportunité de lire de tels articles ou l’occasion de se rendre dans des espaces touchés par la pollution tels que le Pacifique nord. En ce sens mon travail peut aider à donner une « voix visuelle » à la science tout en la reliant à la conscience sociale du spectateur.

Cette série crée une contradiction émotionnelle entre l’esthétique de vos photographies qui apparaît dans un premier temps et la laideur de ce qui est dénoncé, que l’on découvre ensuite. Que souhaitiez-vous susciter chez le public ?

M. B. Les images sont intentionnellement présentées d'une manière visuellement attrayante pour inciter le public à regarder l'œuvre, puis pour le choquer avec les légendes et les faits de ce qui est représenté. Pour sensibiliser le public aux impacts néfastes du plastique marin en tant que problème de changement climatique, de ses effets sur la biodiversité et, en fin de compte, sur nous-mêmes, j'espère que cette connexion avec un public plus large contribuera d'une manière ou d'une autre à inspirer le changement. La photographie est un moyen de communication qui a la capacité d’éduquer, d’informer et d’augmenter la prise de conscience sur certains sujets. Si elle a le pouvoir d’inspirer les personnes à agir, à les émouvoir ou à minima, à leur faire remarquer ce qui se passe actuellement dans le monde, je pense qu’il s’agit là d’un élément primordial pour faire naître le débat et conduire au changement. Si je n’étais pas persuadée que mon travail aboutisse à cela, je n’aurais pas la motivation pour continuer.

Souple plastique
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Soup, Birds Nest © Mandy Barker

Selon l’ONG de défense des océans Sea Shepherd, “12 à 15 millions de tonnes de plastique se retrouvent dans l’océan chaque année, tuant un million d’oiseaux de mer et 100 000 animaux marins”. En 2024 paraîtra un traité mondial contre la pollution plastique, initié par l’Assemblée des Nations Unies dans le but de lutter contre la pollution plastique à l’échelle internationale. Pensez vous que les politiques mises en place sont à la hauteur de la problématique ?

M. B. Des statistiques effrayantes sortent en continu sur la manière dont le plastique impacte la vie des oiseaux et des animaux marins de manière générale. Il n’y a rien de plus triste que de ramasser, ce qui m’est arrivée encore récemment, le corps d’un oiseau échoué sur la plage et de sentir des morceaux de plastique dans son estomac et de savoir que c’est ça qui a provoqué sa mort. Nous sommes devenu·es dépendant·es au plastique et maintenant nous retrouvons des traces de microplastiques dans l’organisme humain, dans le sang et le placenta de bébés qui ne sont même pas encore nés.

Il faut espérer que les négociateur·ices qui se retrouveront en novembre au sommet de Paris pour échanger sur le Traité du plastique dans l’Union européenne permettront aux gouvernements d’adopter une approche commune d’ici la fin 2024. Si un accord légal est trouvé entre eux, il s’agirait là d’une avancée formidable dans la lutte contre la pollution plastique.

« Les Nations Unies ont averti que les produits chimiques contenus dans les microplastiques sont associés à de graves impacts sur la santé, notamment des modifications de la génétique humaine, du développement du cerveau et de la reproduction. » J'espère que cette citation à elle seule suffira à nous donner envie d'agir et de trouver des alternatives au plastique dès la phase de conception de la production.

Avez-vous des projets en cours ?

M. B. Cela fait maintenant 13 ans que je traite uniquement de la pollution plastique marine dans mon travail photographique. Je travaille sur différents projets à la fois selon que cela concerne un objet en plastique en particulier ou, encore, je crée des contacts avec des scientifiques et des personnes qui peuvent étayer mon travail de recherche. Il y a de nombreux sujets qui ne sont pas de notoriété publique et j’ai de quoi me tenir occupée jusqu’à la fin de mes jours mais j’espère de tout cœur que le plastique sera remplacé à terme par un matériau plus durable et plus naturel qui ne polluera plus les océans et qui ne menacera plus la vie sur terre.

 

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