Date de publication
6 novembre 2023
modifié le

“La force de la bande dessinée “Algues vertes”, c’est d’incarner le phénomène”

À l’occasion du cycle Verdoyons, les Bibliothèques des universités de Rennes et de Rennes 2 se sont associées et ont sollicité le regard de spécialistes sur la BD Algues vertes et ce phénomène environnemental. Luc Cotinat, alias Morvandiau, auteur de bande dessinée et chercheur à Rennes 2, nous raconte cette exposition.

autoportrait dessiné de Morvandiau
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Autoportrait dessiné de Morvandiau.

Pouvez-vous tout d’abord vous présenter ainsi que votre travail ?

Je suis auteur de bande dessinée, dessinateur de presse et enseignant-chercheur à Rennes 2, en charge de l’atelier bande dessinée (une option en L2 Arts plastiques). Il y a plusieurs facettes dans mon travail : l’une plutôt humoristique - un humour grinçant, quand je dessine sur l’actualité politique, notamment pour le Mensuel de Rennes ; et l’autre, autobiographique et biographique, sur des questions de la transmission, de l’identité [voir par exemple D’Algérie (Le Monte-En-L'air, 2020) ou Le Taureau par les cornes (L’Association, 2020)]. Dans l’enseignement, je suis face à un panel de profils avec des enjeux très différents, allant de celles et ceux qui découvrent la bande dessinée à celles et ceux qui veulent en faire leur métier. C’est stimulant d’un point de vue pédagogique, et j’essaye de prendre un biais pour que tout le monde y trouve son compte. Je les emmène sur des choses un peu surprenantes comme la bande dessinée abstraite, composée donc d’images qui ne sont pas figuratives. Cela les oblige à se poser des questions sur ce qu’est la bande dessinée et quelles sont ses potentialités en termes de narration, de séquence, etc. Cela permet aussi de dépasser le niveau de dessin, de ne pas se heurter à ce rêve de raconter quelque chose sans être capable de le dessiner.

Vous êtes également auteur d’une thèse, menée à Rennes 2 et intitulée “L'art de la contrebande ? Tentative de cartographie des pratiques de la bande dessinée contemporaine (1990-2015)”. Comment en êtes-vous venu à travailler sur ce sujet ?

Je suis autodidacte, j’ai donc un parcours académique un peu atypique. J’ai repris des études en 2014 et réalisé une VAE (validation des acquis de l’expérience) pour obtenir un M2 en arts plastiques, et j’ai eu envie d’enchaîner sur un doctorat parce que la recherche m’intéressait, notamment pour consolider mon activité d’enseignant. J’ai donc consacré ma thèse au milieu dans lequel je me suis formé, qui est celui de la bande dessinée alternative francophone. Au début des années 1990, avec la crise de la presse et la disparition de titres comme Métal hurlant par exemple, de nombreux jeunes autrices et auteurs se sont retrouvés sans espaces pour débuter leur carrière et ont donc lancé leurs propres structures. La plus connue est L’Association, qui a édité le best-seller Persepolis. J’ai donc mené une sorte d’enquête pour comprendre comment ces structures ont complètement bouleversé le champ éditorial de la bande dessinée, en amenant d’autres sujets, d’autres manières de faire, en faisant plus de place aux femmes aussi, etc. Et pourquoi elles existent encore 30 ans plus tard.

image issue de la couverture de la bd Algues vertes représentant la découverte d'un corps enfoui dans les algues sur une plage bretonne
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Image issue de la couverture de la bande dessinée Algues vertes

Parlez-nous de l’exposition à laquelle vous avez collaboré, au sujet de la BD Algues vertes (Delcourt La revue dessinée, 2019). Comment s’est déroulé le projet ?

Je travaille de manière étroite avec les bibliothécaires de Rennes 2, notamment parce que j’essaye d’inscrire mon atelier dans la chaîne du livre et de montrer aux étudiant·es ce qui se passe entre le moment où naît l’idée de l’histoire et celui où le livre est emprunté dans une bibliothèque. J’ai donc été sollicité pour faire partie des chercheurs et chercheuses à donner mon regard sur cet ouvrage d’Inès Léraud et de Pierre Van Hove (colorisé par Mathilda). L’exposition est constituée de planches, alimentées par des contributions dans différentes disciplines. J’ai donc eu l’occasion de rencontrer des chercheuses* en sociologie, en droit et en biologie, et c’était passionnant, d’autant que certaines d’entre elles avaient participé à des commissions au sujet des algues vertes.

En savoir plus sur l'exposition "Algues vertes, les chercheurs revisitent l'histoire interdite"

Qu’avez-vous alors observé de remarquable dans cet ouvrage ?

Aujourd’hui il y a une production pléthorique de bandes dessinées documentaires, dont une grande partie selon moi utilise d’abord le support comme un moyen et non comme un langage, et cela donne des ouvrages un peu plats d’un point de vue créatif. Ce n’est pas le cas d’Algues vertes justement, qui résulte d’un vrai travail de collaboration entre une journaliste-documentariste et un auteur qui a déjà plusieurs livres à son actif. Par exemple, ils ont fait le choix de ne quasiment pas mettre en scène Inès Léraud et de laisser de la place aux lecteurs et lectrices, et d’aborder plusieurs points de vue. Cela permet de comprendre la complexité du problème, cette espèce de mille-feuilles de questions auquel l’enquêtrice fait face et comment elle s’y prend pour y répondre, ce qu’elle découvre au fur et à mesure, etc.

Quel est votre rapport aux algues vertes ? La BD vous a-t-elle appris des choses à ce sujet ?

En tant que dessinateur de presse, je suis un grand lecteur de l’actualité et j’ai en plus grandi en Bretagne, donc je connaissais le phénomène. Mais j’ai appris pleins de choses dans l’ouvrage, notamment sur toutes les ramifications du problème et l’omerta qui règne. On parle de rapports de pouvoir et de domination qui ne peuvent qu’intéresser un dessinateur de presse. Je pense aussi que la force d’Algues vertes, c’est d’incarner le phénomène, de permettre de mettre des visages sur de l’abstrait : à la fois sur les personnes victimes et sur celles qui sont au pouvoir là où les décisions sont prises - ou ne sont pas prises, en l’occurrence. C’est une question politique passionnante.

Quels ouvrages, ou autrices et auteurs pouvez-vous nous recommander ?

J’en lis et j’en aime beaucoup ! Je suis un très grand amateur du travail de Willem, sans doute le plus ancien dessinateur de presse en activité en France. Il a également fait tout un travail extraordinaire en bande dessinée et a inventé beaucoup de choses d’un point de vue formel, comme la bande dessinée muette par exemple. C’est un érudit graphique et politique. Je peux également conseiller le travail de la québécoise Julie Doucet, à l’avant-garde sur la bande dessinée autobiographique et féministe. Autrice de fanzines, elle avait arrêté la bande dessinée suite à un burn-out, notamment parce qu’elle saturait de ce milieu de mecs, et elle est revenue au dessin, de colère, après les attentats de Charlie Hebdo. Dans son dernier livre, Suicide total, elle raconte une relation particulière entretenue avec l’un de ses lecteurs français…

 

* Ont participé à la création de cette exposition :
- Agnès Schermann, maîtresse de conférence en botanique et biologie de l’évolution à l’université de Rennes,
- Véronique Van Tilbeurgh, professeure de sociologie de l’environnement à Rennes 2,
- Nathalie Hervé-Fournereau, directrice de recherche au CNRS, juriste en droit de l'environnement et droit de l'Union européenne, membre de IODE UMR 6262 CNRS Université de Rennes,
- et Morvandiau, dessinateur de presse, auteur de bande dessinée et chercheur à Rennes 2.
Titre de l'encadré
Focus sur les algues vertes dans le cadre de Verdoyons #4
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Depuis des années, la journaliste et lanceuse d'alerte Inès Léraud dénonce le scandale des algues toxiques que génère l'agro-industrie et qui prolifèrent sur les côtes bretonnes. Après une BD à succès, son combat est retracé dans le film Les Algues vertes réalisé par Pierre Jolivet sorti en salle cet été. Le focus sur les algues vertes porté par le service culturel et les BU de l'Université Rennes 2 vous invite à découvrir d'autres adaptations de son travail, ainsi que des artistes qui se sont également emparés de ce sujet. Dans le cadre de Verdoyons #4, de nombreux rendez-vous pour apporter un éclairage sur ce phénomène dramatique.

À découvrir :

  • 2 au 30/11 : Exposition Algues Vertes en bibliothèque universitaire centrale. La bande dessinée d’Inès Léraud et Pierre Van Hove revue par les chercheurs de Rennes 2 et de l’Université de Rennes (botanique, santé publique, droit, écologie, politique, histoire et sociologie...).
  • 9/11 au 15/12 : Exposition Algues maudites - Photographies d’Alice Pallot,  La Chambre Claire, campus Villejean.
  • 14/11 à 20h : Concert-BD Algues vertes au Tambour, par Mnemotechnic et Poing + rencontre Texte : une adaptation scénique de la bande dessinée Algues Vertes, l’histoire interdite d’Inès Léraud et Pierre Van Hove. 
  • 15/11 à 13h : Projection du court-métrage Les algues maléfiques d’Antonin Peretjatko. Algues vertes. Des promeneurs disparaissent… Un court-métrage loufoque qui mêle satire politique, film d'horreur et super-héros.
  • 16/11 à 13h : Rencontre avec Nicolas Legendre autour de son livre Silence dans les champs. Une rencontre animée par Véronique Van Tilbeurgh, professeure de sociologie et chercheure à l'UMR 6590 ESO à ESO-Rennes.
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