Date de publication
13 mars 2023
modifié le

Une exposition et un colloque sur Dante à Rennes 2

Dans le cadre du projet ANR "Dante d'Hier à Aujourd'hui en France" (DHAF) porté par l’université Sorbonne Nouvelle en partenariat avec Rennes 2 et les universités Côte d’Azur et Grenoble Alpes, une exposition sur Dante est montée à la BU, à découvrir du 30 mars au 30 juin 2023. Les 25 et 26 mai, un colloque international organisé à Rennes 2 par le CELLAM s’intéressera à la réception matérielle et traductive en France de l’œuvre de l’écrivain florentin. Rencontre avec Claire Lesage, responsable de l'axe "Réception matérielle de l'œuvre de Dante" du volet Traductions : recensement, histoire, traductologie du projet.

« In forma dunque di rosa candida mi si mostrava la milizia santa » (Paradiso, XXXI, v. 1-2)
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« In forma dunque di rosa candida mi si mostrava la milizia santa »
(Paradiso, XXXI, v. 1-2)

Avant le vernissage de l'exposition "Je tirai de l’armoire un volume du Dante" prévu jeudi 30 mars à 17h30, rencontre avec Claire Lesage, maîtresse de conférences à l’Université Rennes 2, directrice adjointe du CELLAM et responsable de l'axe "Réception matérielle de l'œuvre de Dante" du volet Traductions : recensement, histoire, traductologie du projet ANR. 

Quel est l’objet de l’exposition sur Dante organisée à la BU de Rennes 2 ?

Claire Lesage. Parmi les objectifs que les partenaires du projet financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) entendent mener à bien, il y a l’inventaire des fonds ‘dantesques’ des bibliothèques françaises : ce travail de recensement alimentera une banque de données qui permettra aux chercheurs de repérer dans les bibliothèques ces ouvrages qui seront décrits par des fiches bibliographiques détaillées. L’inventaire des fonds patrimoniaux de la bibliothèque de Rennes 2 et celui des bibliothèques bretonnes documente, en particulier aux XIXe et XXe siècles, le développement en Bretagne d’un vif intérêt pour l’œuvre de Dante : la BU de Rennes 2 conserve au fonds ancien quelques ouvrages remarquables dont l’étude nous aide à mieux comprendre la réception du poète florentin. Le but de l’exposition est de valoriser ce patrimoine et de montrer que les bibliothèques universitaires sont des lieux de recherche où sont conservés des ouvrages uniques et précieux.

Quel est l’ouvrage le plus ancien qui sera exposé ?

Il ne s’agit pas de la Divine Comédie, l'œuvre la plus connue de Dante, mais d’un traité de philosophie politique, la Monarchie : Dante y défend l’institution universelle de l’empire, selon lui, seule capable de garantir la paix et la justice face à la menace des guerres civiles. La Monarchie qui sera exposée fait partie d’un recueil de textes de nature politique qui date de 1566, aujourd’hui conservé à la bibliothèque des Champs libres : il appartenait vraisemblablement à un Président du Parlement de Bretagne et traitait d’un sujet au cœur du débat politique au moment où la Bretagne est définitivement rattachée à la France. Sera aussi exposée une traduction en français de ce traité conservée à la BU de Rennes 2 qui date de 1933 : le traducteur souligne la ‘modernité’ de la pensée politique de Dante au moment où les nationalismes se renforcent en Europe et commence à planer la menace d’une nouvelle guerre.

Comment s’organise l’exposition ?

Nous prévoyons plusieurs panneaux thématiques sur : « Traduire la Divine Comédie » ; « Illustrer la Divine Comédie » ; « l’‘autre’ Dante » (les œuvres mineures) ; « Lire et étudier Dante à l’université » et enfin « Dante en Bretagne : les savants et les écrivains ». De nombreux ouvrages seront exposés comme la première traduction en prose de L’Enfer, une édition qui date de 1776, conservée à la BU de Rennes 2. Nous mettrons également en évidence des traductions réalisées en français par des Bretons comme celle du philosophe malouin Félicité de Lamennais, celle du poète lorientais Auguste Brizeux ou celle de l’écrivain lesnevien Alexandre Masseron. Seront mis en regard l’édition de 1879 de La Divine Comédie illustrée par Yan’ Dargent, peintre breton du XIXe siècle, et l’exemplaire de la 1ère édition de 1861 de L’Enfer illustrée par Gustave Doré. D’autres raretés feront l’originalité de l’exposition : par exemple, la bibliothèque municipale de Saint-Brieuc a accepté de nous prêter deux éditions illustrées du XIXe et du XXe siècle : les trois portefolios de la Comédie du peintre franco-suisse Adolf von Stürler datant de 1884 et les eaux-fortes représentant l’Enfer du peintre franc-hongrois Laszlo Barta de 1938.

Le volet “Lire et enseigner Dante à l’université” concerne tout particulièrement notre établissement…

En 1840, quand est créée à l’Université de Rennes (ndlr : ancêtre de l’Université Rennes 2) une chaire des « littératures modernes européennes », le premier cours est consacré à la Divine Comédie. L’enseignement universitaire des littératures étrangères à Rennes est donc né avec Dante. Le texte de cette leçon inaugurale prononcée par Charles Labitte est conservé au fonds ancien de la BU de Rennes 2, avec d’autres ouvrages qui reflètent la façon dont Dante était étudié et enseigné au XIXe siècle. Pour le XXe siècle, l’exposition s’intéressera, entre autres, à Yvonne Batard, première enseignante à occuper en 1952 la chaire de « littérature générale et comparée » de l’Université de Rennes et qui était une spécialiste de Dante.

En quoi l’œuvre de Dante, auteur du Moyen Âge, résonne-t-elle avec des préoccupations contemporaines ?

Dante est présent dans l’imaginaire des jeunes générations par le biais de la culture pop. Plus précisément, c’est l’Enfer et ses paysages peuplés de monstres et de personnages violents qui semblent les plus « actuels » : l’expérience initiatique que Dante y accomplit, guidé par Virgile, est réinterprétée aujourd’hui par les jeux vidéo. Dante est aussi un personnage de bandes-dessinées, de mangas ou de romans policiers. Son voyage dans l'au-delà continue donc de nourrir l’imaginaire contemporain. D’autre part, la vision morale et politique de Dante, son désir de dépasser les guerres intestines et sa recherche de la paix universelle font aujourd’hui encore écho à l’actualité. Récemment, le ministre de la culture italien du gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni, Gennaro Sangiuliano, a affirmé que Dante était “le fondateur de la pensée de droite italienne”, suscitant de vives protestations auprès de nombreux intellectuels italiens qui ont condamné cette appropriation du poète de la part de la droite. Dante est une icône pour les Italiens. Plus prosaïquement, depuis 2002, le portrait de Dante nous accompagne dans notre vie quotidienne d’Européens. Regardez en effet dans votre porte-monnaie : vous trouverez peut-être une pièce de deux euros portant sur une de ses faces l’effigie du poète florentin. Même si on ne lit pas Dante, on se l’approprie. La langue française, et c’est une particularité nationale, a inventé le terme “dantesque” pour décrire une expérience extraordinairement difficile : nul besoin d’avoir lu Dante pour comprendre le sens de cet adjectif.

Comment expliquez-vous que Dante ait traversé le temps ?

Même s’il existe une distance historique et culturelle très grande avec cet auteur chrétien du Moyen Âge, le récit de son voyage dans l’au-delà a une dimension universelle. Par le biais de sa langue poétique, Dante sait créer des images puissantes et saisissantes. Dante parvient, entre autres, à montrer l’humanité des personnages qu’il croise parmi lesquels des damnés. En sont le témoignage les épisodes de l’Enfer qui ont inspiré des artistes français du XIXe tels que Delacroix, Doré, Rodin et bien d’autres : citons par exemple le chant V et l'histoire tragique des deux amants Paolo et Francesca assassinés par le mari de cette dernière, ou les chants XXXII et XXXIII où Dante donne la parole au comte Ugolin qui raconte sa fin tragique et celle de ses enfants, tous laissés mourir de faim dans la tour où ils étaient emprisonnés.

 

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