Date de publication
9 janvier 2023
modifié le

Un cursus numérique pour nos étudiant·e·s en détention

Un petit boîtier a été installé dans le centre pénitentiaire proche de Rennes pour permettre aux étudiant·e·s privé·e·s de liberté de suivre les cours de l’Université Rennes 2 au format numérique. François Gilbert, ingénieur techno-pédagogique à la DAP pour le projet Campus Connectés – Supbox, nous détaille ce projet innovant.  

le boitier numérique supbox

Comment est né le projet SupBox ?

En 2021, l’Université Rennes 2 a été lauréate de l’appel à projet « Campus connectés » et a proposé d’étendre un dispositif appelé « SupBox » déjà expérimenté au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, pour leur permettre de suivre des formations grâce au numérique mais sans accès internet. J’ai pris mes fonctions en mars 2022 pour compléter cet outil pédagogique et le mettre en place au centre pénitentiaire pour hommes de Vezin-le-Coquet, où nous avons eu pour cette rentrée 2022 4 nouveaux candidats. Au centre de Rennes, les étudiantes sont inscrites dans ce cadre pour suivre des formations de tous niveaux en Psychologie, en Administration économique et sociale (AES) ou encore en Lettres.

En quoi consiste ce dispositif et qu’apporte-t-il de nouveau ?

À Rennes 2, l’enseignement à distance (EAD) en centre pénitentiaire existe déjà et concerne une centaine d’étudiant·e·s réparti·e·s sur le territoire français. Mais ceux·celles-ci travaillent encore sur support papier uniquement. Or, la crise sanitaire a accéléré la numérisation des contenus et les interactions pédagogiques, en créant un foisonnement de pratiques. Par exemple, les enseignant·e·s ont massivement ajouté la captation vidéo, ce qui permet ensuite de revoir le cours et les échanges en vidéo. Cela présente donc à la fois des opportunités pour mettre ces contenus de formation à disposition des personnes privées de liberté, en même temps qu’un certain nombre de défis en l’absence d’accès internet dans les centres pénitentiaires.

Le dispositif comprend donc plusieurs éléments. Une partie matérielle – la SupBox, le micro-serveur local que nous apportons sur place et qui permet aux étudiant·e·s d’accéder à une copie de Cursus, la plateforme d’e-learning de Rennes 2, dans laquelle figurent tous les contenus des cours. Et une partie pédagogique avec la coordination de l’ensemble de la chaîne de la formation (enseignant·e·s-chercheur·se·s, service de la scolarité, service informatique, bibliothèque universitaire…) pour la mise à disposition des contenus dans des conditions optimales. Sachant qu’il y a forcément des limitations à cette pédagogie numérique en ce qui concerne les interactions directes avec les enseignant·e·s et les autres étudiant·e·s, qui ne sont pas possibles pour des raisons légales et techniques. Notre point de contact privilégié, ce sont les responsables locaux d’éducation (RLE), des enseignant·e·s de l’éducation nationale détaché·e·s au ministère de la Justice, qui travaillent sur le terrain à tous les niveaux de formation, de l’alphabétisation à l’enseignement supérieur.

Quels sont les défis en termes de pédagogie et de mise en œuvre technique ?

Le principal défi consiste en l’adaptation des contenus nécessitant une connexion internet : mettre à jour les liens qui renvoient à une ressource en ligne, demander aux enseignant·e·s de proposer une alternative. On ne peut pas demander par exemple à un·e étudiant·e en centre pénitentiaire d’aller commenter une vidéo YouTube dans le cadre d’un exercice. Pour les examens, tout ce qui relève du contrôle continu ou de l’oral doit également être compatible, éventuellement transformé en devoir écrit, transmis par les enseignants de Rennes 2 aux RLE. Nous travaillons aussi avec le service commun de documentation de l’établissement sur un projet d’intégration dans la SupBox d’un moteur de recherche documentaire pour leurs ressources bibliographiques, afin que ces étudiant·e·s soient en mesure de faire eux·elles-mêmes leur liste d’ouvrages, puisqu’il s’agit d’une compétence méthodologique. Une personne de la bibliothèque universitaire s’occupe déjà des échanges de prêts depuis plusieurs années.

Un autre exemple : la temporalité de l’université et celle du centre pénitentiaire sont parfois en friction. Les délais de remise des travaux sont les mêmes pour tout le monde, mais les étudiant·e·s privé·e·s de liberté découvrent parfois leurs sujets après les étudiant·e·s en EAD, parce que l’adaptation des sujets prend du temps, et pour des raisons de fréquence de mise à jour des données de la SupBox. L’ensemble de ce projet provoque un choc des cultures entre institutions, avec des cultures et des pratiques extrêmement différentes. On doit s’y acclimater, apprendre à se comprendre : la SupBox permet un rapprochement dans l’action.

Êtes-vous justement en lien avec d’autres universités apportant des dispositifs numériques en centre pénitentiaire ?

C’est encore très rare sur le territoire français. Nous sommes en contact avec l’université de Caen Normandie qui développe un dispositif similaire depuis 2018, car nous dépendons de la même zone administrative pénitentiaire, la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) Grand-Ouest. Leur approche technique est différente, mais nous sommes en lien dans une logique d’échange d’expérience et de bonnes pratiques.

A-t-on déjà du recul sur l’efficacité du dispositif ?

Rappelons que le ministère de la Justice a aussi dans ses missions de favoriser la réinsertion des personnes privées de liberté à travers des formations. Nous savons déjà que cela fonctionne. Des étudiantes ont validé leur diplôme en 2022 et nous sommes en contact avec des personnes qui aujourd’hui travaillent ou poursuivent leurs études. Toutefois il reste beaucoup à faire pour développer et étendre ce « campus connecté » original sur notre territoire.

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