Crédit photo : Sébastien Boyer / Service communication
En quoi consiste le projet de recherche pour lequel vous êtes nommé membre Junior à l'Institut universitaire de France (IUF) ?
Le projet porte sur la crise du logement aux États-Unis, plus spécifiquement à Portland et Chicago, que j’étudie par le prisme du travail d’assistance aux personnes sans-abri, en interrogeant les acteurs déployés sur le terrain. Dans un contexte de démantèlement de l’État-providence, cette crise est, en effet, de plus en plus gérée par des personnes elles-mêmes précaires : travailleuses et travailleurs sociaux faiblement payés et eux-mêmes à risque de se retrouver à la rue, personnes sans-abri en réinsertion, bénévoles, groupes de voisines et voisins, etc.
Comment allez-vous concrètement mener vos travaux ?
Il s’agit d’une recherche qualitative qui s’appuie sur des entretiens et un travail d’immersion. L’objectif est de passer plusieurs mois sur le terrain à suivre les acteurs qui répondent à la crise du logement lors de leurs interventions, dans le but de comprendre plus finement la signification de leur travail. Ma nomination à l’IUF va me permettre d’y consacrer ce temps long et d’avoir une approche plus ethnographique.
Comment êtes-vous accueilli habituellement sur ce terrain que vous connaissez bien ?
J’y suis très bien accueilli, de manière chaleureuse et bienveillante ! Les habitantes et habitants de Portland et de Chicago n’ont pas l’habitude de voir des chercheuses et chercheurs français s’intéresser à leurs territoires, cela génère une forme de curiosité qui m’ouvre des portes. D’autant plus que je ne suis pas un acteur local intégré dans le rapport de forces, il y a moins de méfiance et la parole est assez libre. Même si je connais maintenant bien ces environnements, j’ai une distance en tant que chercheur étranger qui m’est très précieuse pour toujours renouveler ma façon de voir les choses.
Comment avez-vous choisi les États-Unis comme terrain d’études ?
C’est un peu une suite de hasards, qui a commencé par une thèse à l’Université du Québec à Montréal portant déjà sur les formes d’inclusion et d’exclusion dans l’espace public. Cela m’a amené à être identifié comme spécialiste de l’Amérique du Nord, et à poursuivre naturellement dans cette direction suite à mon recrutement à Rennes 2. C’est d’autant plus intéressant que cela permet de dialoguer avec des collègues aux États-Unis, et d’inscrire ses réflexions dans les débats scientifiques internationaux.
Pouvez-vous nous présenter votre discipline, la géographie sociale ?
Il s’agit de l’étude de nos sociétés par le prisme spatial. Cela s’appuie sur le constat que l’espace est un produit social, et que par conséquent, la structure des relations sociales se reflète dans l’organisation de l’espace. L’un des objectifs de la géographie sociale est notamment de comprendre comment les inégalités se matérialisent dans l’espace, comment l’aménagement et les politiques publiques peuvent réduire ou amplifier celles-ci. Or, appréhender et visibiliser les origines des inégalités, c’est se donner les moyens de lutter contre celles-ci, de contester les rapports de pouvoir qui en sont au fondement.
Quels liens pouvez-vous faire entre la crise du logement nord-américaine et la crise que nous vivons actuellement à Rennes ?
Je pense qu’il y a des échos d’un terrain à l’autre, même si les environnements sont complètement différents. En étant à Rennes 2, j’ai de nombreux liens avec les acteurs locaux qui travaillent sur la question. Par exemple, j’ai pu être consulté dans le cadre de tentatives de construction de micro-villages de tiny houses en Bretagne, comme cela existe déjà à Portland et Chicago. J’ai un regard plutôt critique sur cette forme de gestion de la crise à bas coût, quand il s’agit de créer des lieux d’accueil sans intégrer dès le départ les personnes au fonctionnement de la structure ni prendre en compte les enjeux structurels de la crise du logement. J’ai pu constater qu’au lieu d’apporter une réponse efficace à la crise du logement, ces dispositifs créent des sous-logements et ouvrent un nouveau marché de la pauvreté. Voilà pourquoi les résonances avec d’autres territoires me paraissent intéressantes : afin de ne pas répéter les mêmes erreurs.