Comment en êtes-vous venue à vous pencher sur la question animale ?
Ayant grandi près d’un abattoir, je m’intéresse depuis l’adolescence à la question des relations avec les autres animaux, et notamment à la dimension morale de ces rapports. À la fin de mes études d’anglais, quand j’ai commencé à faire de la recherche, je me suis orientée vers ce thème-là en étudiant le mouvement végétarien en Grande-Bretagne, un pays précurseur sur la question animale. J’ai fait mon doctorat sur Frances Power Cobbe, une figure pionnière de l’animalisme britannique et du féminisme au XIXe siècle, puis je me suis intéressée au travail du philosophe Peter Singer et enfin, j’ai découvert le champ des études animales. Il a émergé à la fin du XXesiècle dans le milieu académique nord-américain, d’abord en philosophie et anthropologie puis dans quasiment toutes les sciences humaines et sociales. Cela m’a passionnée et j’ai été très étonnée qu’il n’y ait aucune offre de formation en France, d’autant que je constatais une demande de la part des étudiant·e·s. J’ai commencé à enseigner les animal studies en 2013 au sein du département d’anglais de Rennes 2, puis j’ai proposé, en binôme avec Laurence Le Dû (département de géographie), un enseignement d’UEO (Unité d’Enseignement d’Ouverture) sur la place des animaux dans la société. Ce cours, que je partage désormais avec Véronique Van Tilbeurgh (département de sociologie) ne désemplit pas puisque nous accueillons chaque année plus de 200 étudiant·e·s. On voit donc qu’il est nécessaire d’importer en France ce champ des animal studies et de développer des outils, tels que l’ouvrage Introduction aux études animales ou le DU Animaux et société.
Comment est justement né ce DU Animaux et société ?
En 2017, j’ai observé cette demande d’outils de la part des enseignant·e·s du primaire et du secondaire qui souhaitaient que la question animale soit inscrite dans les programmes et avaient besoin pour cela d’idées, de stratégies, de portes d’entrée, de concepts à mobiliser. Inspirée par le DIU Études sur le genre, nous avons construit, avec le service formation continue de Rennes 2 et après une étude de terrain, une formation similaire sur la question animale. Elle a été lancée en 2019-2020 avec 40 candidatures pour 20 places, confirmant encore une fois que la demande des professionnel·le·s était là. C’est une formation unique en France à ce jour : il existe un master à Strasbourg portant sur l’éthologie, le droit et l’éthique des questions animales et plusieurs DU orientés droit animalier ou éthique animale, mais la dimension sociétale, des relations entre les groupes humains et les autres animaux, est une spécificité de Rennes 2.
À qui s’adresse le DU ?
Nous avons effectivement des enseignant·e·s, y compris du supérieur, et nous en aurons peut-être davantage car la loi visant à lutter contre la maltraitance animale, de novembre 2021, comporte un volet pédagogique inscrivant « la sensibilisation au respect des animaux de compagnie » dans l’enseignement moral et civique. Mais les promotions sont constituées d’un public beaucoup plus large : des juristes, des vétérinaires, des professionnel·le·s de la production animale, des étudiant·le·s, des professionnel·le·s du monde de la culture, etc. On observe des demandes émergentes dans deux sphères, notamment : la politique locale – depuis 2017, les grandes villes se sont dotées d’élu·e·s à la condition animale, il y a donc un besoin de formation pour ces personnes – et le domaine culturel. On peut imaginer que dans les années à venir, si ces questions restent posées, d’autres formations voient le jour en réponse à des métiers émergents. Par exemple, l’une des étudiantes de la première promotion du DU, Anne-Laure Meynckens, a créé son entreprise de consulting auprès de collectivités et d’entreprises sur la question animale – bien-être, droit, amélioration des pratiques, etc.
Nous retrouvons également des étudiant·e·s de master ou de doctorat qui viennent chercher un complément à leur propre spécialité, puisque les études animales traversent toutes les disciplines, comme le montre la composition de l’équipe pédagogique. C’est aussi une occasion de rencontrer des professionnel·le·s de la protection animale qui ont des connaissances à la fois de longue date et de terrain, c’est donc très précieux.
Enfin, la promotion du DU, qui met en réseau des personnes aux parcours différents intéressé·e·s par cette question, est en elle-même un lieu incubateur d’idées permettant l’émergence de projets.
Peut-on faire un lien avec les études de genre, et si oui, comment ces deux questions s’articulent ?
Dans les études animales, on retrouve plusieurs courants, dont un critique qui se rattache à d’autres luttes d’émancipation - soit sur le plan politique en envisageant une convergence, soit sur le plan conceptuel avec des outils développés dans les gender studies que l’on va transposer dans celui des études animales. Par exemple, la notion d’intersectionnalité, c’est-à-dire le fait de cumuler plusieurs stigmatisations : il a été montré que les femelles sont les plus exploitées en raison de leur statut d’animal et de leur genre. L’écoféminisme est également une façon de relier ces études : c’est la question de la domination masculine et du pouvoir qui est posée dans une société où les femmes sont exploitées, comme ce qui relève de la nature. La moitié des personnes qui me contactent pour des travaux en master ou doctorat sont des femmes et veulent travailler à cette intersection.
En quoi consiste la journée d’études du 23 juin 2022 et pourquoi avoir choisi cette thématique des animaux dans la ville ?
Nous souhaitions clore la formation par une journée interdisciplinaire pour continuer d’enrichir nos réflexions, en invitant des disciplines qui ne sont pas forcément représentées dans la formation. Après la notion d’anthropomorphisme en 2022, nous nous intéressons cette année aux animaux dans la ville. J’ai constaté une forte interrogation sur ce thème chez les élu·e·s, notamment à l’occasion de mon travail sur la charte de la condition animale, pour lequel j’ai été sollicitée par la ville de Rennes (Saint-Malo se mobilise également sur ce thème et m’a récemment sollicitée de la même manière). Ce thème mobilise aussi les associations dans de nombreux domaines - animaux de compagnie, liminaires, biodiversité, etc. Nous aurons donc des interventions variées avec des spécialistes d’architecture, d’histoire, de cinéma anglophone et de biologie, pour croiser les regards et révéler la richesse de cette question. Nous écouterons des élu·e·s et des responsables d’associations lors d’une table ronde. Nous accueillerons enfin un invité surprise du milieu culturel pour clôturer la journée. C’est aussi l’occasion de réunir toutes les promotions du DU pour se retrouver et/ou se rencontrer.
Journée d’études « Les animaux dans la ville »
Ouverte à tou·te·s, sur inscription et payante